23 février 2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 110
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La révolution n’est pas la démocratie
Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1918, les conseils d’ouvriers, paysans et soldats qui venaient d’être formés à Munich élisaient à leur première séance le journaliste Kurt Eisner, socialiste indépendant, comme premier chef de gouvernement de la République de Bavière. Il déclarait aussitôt la république État libre - libre de la monarchie et du roi, libre de reconnaître la dette de guerre allemande, et premier territoire libre des États-Unis d’Allemagne auxquels il aspirait. Lorsque, plus tard dans la nuit, Eisner voulut prendre un peu de repos sur le sofa d’une salle du Parlement bavarois, il aurait dit, très content, à un ami critique littéraire: «N’est-ce pas formidable? Nous avons fait la révolution sans verser une goutte de sang! C’est la première fois dans l’histoire!»
Le destin de Kurt Eisner est d’autant plus tragique: ce responsable politique de la première révolution pacifique dans l’histoire d’Allemagne sera abattu 105 jours plus tard par un fanatique nationaliste. Il marchait alors vers la séance constitutive du Parlement régional, sa lettre de démission en poche. Son assassinat devait provoquer d’innombrables autres violences. Il faudra 27 ans et des millions de morts pour que la démocratie finisse par se constituer durablement en Bavière.
Malgré le renversement pacifique de la monarchie obtenu par la majorité de la population engagée, le nouveau chef de gouvernement Kurt Eisner, qui venait de sortir de prison, était un homme lucide. «La révolution n’est pas la démocratie», disait-il. «Elle ne fait que la préparer.» Ou, trois mois plus tard devant la société des étudiants de Bâle: «C’est vrai, les opprimés, les démunis doivent conquérir le pouvoir politique, mais c’est après seulement que commence la grande tâche. (...) Si nous voulons aujourd’hui faire place dans notre Constitution bavaroise à ces conseils ouvriers et paysans redoutés, nous ne voulons rien d’autre qu’éduquer les masses afin que chacun devienne politiquement actif et efficace.»
Le projet démocratique de Kurt Eisner a pourtant échoué. Il n’a pas eu le temps nécessaire. Ses adversaires étaient trop nombreux et sans scrupules, les épreuves trop colossales. Ainsi, les socialistes indépendants devaient perdre les élections législatives bavaroises de janvier 1919. Vrai démocrate, Eisner voulait en tirer les conséquences en rendant son mandat au nouveau Landtag. Mais il ne pourra pas le faire. Sur le chemin du Parlement, le malheureux est abattu de deux balles tirées dans son dos par un étudiant nationaliste exalté. Aux obsèques de Kurt Eisner, qui devaient attirer près de 100'000 personnes, le jeune écrivain Heinrich Mann déclare: «Les cent jours du gouvernement Eisner ont apporté plus d’idées, de joies saines, de stimulation des esprits que les cinquante années précédentes. Sa foi dans la force de la pensée à se transformer en réalité a touché même des incroyants.»
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Kurt Eisner est un homme politique allemand né en 1867 à Berlin et mort assassiné le 21 février 1919 à Munich. Après ses études de philosophie et germanistique à Berlin, il a principalement travaillé comme journaliste pour différents organes socialistes. En 1918, il a été l’un des meneurs, à Munich, de la vague de grèves pour la démocratie et la paix en janvier, puis de la révolution de novembre. La nuit du 8 novembre, les Conseils d’ouvriers et de soldats ont élu Eisner à la tête du premier gouvernement de la République libre de Bavière.
«
Nous voulons une vraie démocratie. Nous voulons que l’humanité, le peuple, chaque membre du peuple décide vraiment de son sort, et soit capable de le choisir pour lui-même et pour tous. (...) Le système économique socialiste n’est rien d’autre qu’un moyen de créer cette démocratie, cette liberté pour tous, ce droit à la personnalité. (...) Cette autonomie de tout le peuple à penser, à agir, au travail, en politique, et le socialisme n’est rien d’autre, à mes yeux, qu’une démocratie productive et créatrice.
»
Extraits d’un exposé de Kurt Eisner intitulé Le socialisme et la jeunesse et prononcé le 10 février 1919 devant la Société des étudiants de Bâle, publié comme une brochure par la National-Zeitung de Bâle, d’obédience libérale.
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