12.01.2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 104
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La démocratie, seule source de liberté
«Rester un être humain, c’est jeter, s’il le faut, joyeusement sa vie toute entière sur la grande balance du destin, mais en même temps se réjouir de chaque journée de soleil, de chaque beau nuage ...» Rosa Luxemburg, la plus célèbre femme révolutionnaire d’Europe, écrit cette phrase au début de 1916 dans une lettre à Mathilde Wurm, députée socialiste au Parlement de Berlin. Celle-ci faisait partie des membres du parti qui, à Berlin, Paris, Londres et Vienne, avaient approuvé en août 1914 les crédits militaires liés à l’entrée en guerre de leurs pays. Rosa Luxemburg en était révoltée. Pour elle, le déclenchement de cette guerre constituait «la plus grave défaite du socialisme, un crime, un suicide de la classe ouvrière. Les dividendes croissent, les prolétaires tombent.»
Plus de deux ans après cette faute capitale, Rosa Luxemburg apostrophait encore Mathilde Wurm: «Votre nature morose, revêche, lâche, votre façon de ne faire les choses qu’à moitié, ne m’a jamais été aussi étrangère, je ne l’ai jamais autant haïe qu’à présent.» Pourtant, Rosa montre un autre visage, même dans ces temps difficiles, envers une adversaire politique. Son cœur n’est fermé pour personne, son empathie est universelle, son amour et sa joie à l’égard des plus petites lueurs de la vie ne font jamais défaut, justement chez une révolutionnaire dont l’engagement politique est total.
Rosa Luxemburg était née en Galicie, en Pologne - un pays qui n’existait pas et appartenait alors à l’Empire de Russie. Avec le concours des monarchies de Prusse et des Habsbourg, son pays avait été effacé de la carte en 1795. Une terrible misère y régnait parmi les paysans et les ouvriers, avec pour conséquence une émigration massive. Rosa a étudié par la suite à Zurich et Paris les causes de la détresse économique polonaise. Pour la jeune marxiste, seule la révolution et des grèves générales pouvaient y remédier. Il fallait libérer les paysans du servage et les ouvriers du capitalisme et les deux des monarchismes.
Pourtant Rosa Luxemburg n’a jamais considéré la question de la souveraineté nationale comme prioritaire. À ses yeux, il fallait d’abord abolir le tsarisme en Russie, pour ensuite libérer la Pologne. Mais la révolution devait être l’œuvre des ouvriers et des paysans eux-mêmes, non celle des cadres ou agitateurs de partis centralisés.
En novembre 1917, Rosa Luxemburg a formulé la première critique percutante des conceptions révolutionnaires de Lénine en Russie. Une nouvelle fois emprisonnée à cause de son opposition à la guerre, elle a alors écrit un plaidoyer retentissant en faveur de «la liberté de celui qui pense autrement» (cf. citation). Elle a reproché aux chefs de la révolution russe d’avoir supprimé la démocratie, mesure pire que le mal qu’ils voulaient guérir: ils ont en effet «obstrué la seule source vivante d’où peuvent sortir les moyens de corriger les insuffisances congénitales des institutions sociales, à savoir la vie politique active, libre, énergique, de larges masses populaires». Pour Rosa Luxemburg, les principes démocratiques sont nécessaires au mouvement vers le socialisme, lui-même impossible sans la participation de tous.
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Rosa Luxemburg, théoricienne et militante marxiste, est née en 1871 à Zamosc (Pologne). Elle a passé sa jeunesse à Varsovie, puis étudié le droit et l’économie à Zurich et Paris entre 1889 et 1898. Elle a travaillé comme journaliste, traductrice, enseignante et rédactrice de publications socialistes à Berlin. Elle y est morte assassinée le 15 janvier 1919. Rosa Luxemburg a laissé une abondante œuvre politique, de grande qualité littéraire.
«
Il est incontestable que, sans une liberté illimitée de la presse, sans une liberté absolue de réunion et d’association, la domination des masses populaires est inconcevable. (...) La liberté seulement pour les partisans du gouvernement, pour les membres d’un parti, aussi nombreux soient-ils, ce n’est pas la liberté. La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement.
»
Extrait de La Révolution russe, essai rédigé en novembre 1918 en prison. Ce texte a été publié après la mort de Rosa Luxemburg. Cf Une femme rebelle, biographie de Rosa Luxemburg par Max Gallo (Presses de la Renaissance, 1992).
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