17.11.2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 96

Les droits de l’homme commencent
près de chez nous



Nous commémorons actuellement tant de centenaires – grève générale en Suisse, démocratie en Allemagne et en Autriche, fin de la Première Guerre mondiale, recours au système proportionnel pour l’élection du Conseil national – qu’un 70e anniversaire ne semble pas digne de men­tion. Pourtant, cela reviendrait à minimiser l’importance de la première Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), adoptée le 10 dé­cembre 1948 par l’Organisation des Nations Unies (ONU) après trois ans et demi d’existence. Cela ne devrait pas nous arriver, surtout pas mainte­nant et surtout pas en Suisse.

Les droits humains ont été la réponse de la partie éclairée de la popu­la­tion qui a survécu à l’orgie de violence des deux guerres mondiales consécutives entre 1914 et 1945. Plus de cent millions de personnes y avaient perdu la vie, et la dignité de plus d’un milliard d’êtres humains avait été foulée aux pieds. Il fallait réagir à cette débâcle de la civilisation par la reconnaissance générale et universelle des droits dus à tout hom­me de par sa condition et pour assurer sa dignité; toutes les puissances devaient dès lors cesser d’y porter atteinte. La «révolution copernicienne du droit international» ainsi accomplie par la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon l’expert bernois Walter Kälin, tient au fait que chaque homme en forme le noyau, au lieu des États et de leurs relations.

Eleanor Roosevelt a représenté le gouvernement US comme présidente du groupe de travail de la commission des droits de l’homme de l’ONU. Ce groupe a retravaillé et achevé la rédaction d’un projet des diplomates René Cassin (France) et John Humphrey (Canada) au fil de plus de 100 séances de négociations. Pour simplifier, ils ont divisé les droits de l’hom­me en quatre grands chapitres: garantie de la dignité humaine et fonde­ment de la paix; libertés publiques et droits civiques au sens étroit (par ex. protection des minorités); droits économiques et sociaux, et leurs limites. Pour Eleanor Roosevelt, les droits humains, qu’elle concevait comme libertés publiques, n’étaient pas constitutives pour la paix et à la liberté, mais constituaient aussi un outil démocratique. Ainsi, elle a dé­cla­ré à l’automne 1948 à Paris: «Dans nos démocraties, nous garantissons les libertés en présumant que chacun respectera les droits de l’autre. La liberté de nos peuples n’est pas seulement un droit, mais aussi un outil. Nous créons ainsi une forme de vie qui nous permet toutes ces libertés.»

En raison de la discorde entre les premiers États membres de l’ONU à la naissance de la Guerre froide, ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur des règles de mise en œuvre et d’application des droits de l’homme. Seul le Conseil de l’Europe, créé en 1949, y est parvenu avec l’entrée en vigueur, en 1953, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), développement de la Déclaration universelle de l’ONU. Il a ac­compli l’acte révolutionnaire de permettre à chacun et chacune de porter plainte contre son propre État auprès de la Cour de Strasbourg s’il a l’im­pression qu’il porte atteinte à ses droits fondamentaux. Un droit inter­na­tio­nal à l’échelle de l'Europe qu'Eleanor Roosevelt a souhaité en vain pour le monde entier.

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Eleanor Roosevelt (1884-1962) a été la première épouse d’un président américain à exercer une activité politique propre. Elle s’est notamment engagée pour les droits des femmes et contre le racisme.
Native de New York, où elle est aussi décédée, Eleanor Roosevelt
a perdu tôt ses parents. Après avoir fréquenté une école privée britannique, elle est devenue travailleuse sociale dans sa ville. En 1905, elle a épousé un cousin éloigné du même nom, Franklin Delano Roosevelt. Celui-ci a été élu président des États-Unis en 1933, et réélu trois fois jusqu’à sa mort en 1945. Durant la présidence de son mari, Eleanor Roosevelt s’est affirmée en tant que féministe et a tenu un rôle politique actif à ses côtés. Donnant des conférences de presse hebdomadaires réservées aux femmes, elle a rapidement été considérée comme l’une des plus influentes au monde. Devenue veuve, elle a assumé la présidence de la commission des droits de l’homme de l’ONU de 1946 à 1952, et joué un rôle décisif dans la rédaction de la Déclaration universelle du même nom en 1948.

«
Où commencent les droits universels de l’homme? Près de chez soi, en des lieux si proches et si petits qu’on ne peut les voir sur aucune carte du monde. Ils constituent pourtant l’univers personnel de chacun: le quartier où nous habitons, l’école que nous fréquentons, l’usine, la ferme ou le bureau où nous travaillons. C’est là que chaque homme, chaque femme, chaque enfant aspire à une justice équitable, à l’égalité des chances et
à la même dignité, sans discrimination. Si ces droits n’ont pas de sens dans de tels lieux, ils n’en auront nulle part. Sans l’action de citoyens et citoyennes engagés pour les faire respecter dans leur entourage, nous ne verrons pas les progrésser dans le monde.
»

Extrait du discours prononcé par Eleanor Roosevelt le 10 décembre 1948 devant l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Celle-ci a approuvé le même jour la Déclaration universelle des droits de l’homme sans voix contraire et avec quelques rares abstentions.


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