9 juin 2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 79
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Pas de démocratie sans droits humains ...
et inversement!
Au Palais fédéral, le tiers de droite du Parlement a de nouveau tenté ces derniers jours de diviser ce qui va ensemble et a besoin l’un de l’autre: la démocratie et les droits humains. De même qu’en football il n’y a pas de but sans ballon, il n’existe pas de droits humains sans démocratie. Et comme il n’y a pas de vainqueur sans but, il ne peut y avoir de démocratie sans droits humains. Les buts et le vainqueur arrivent ensemble. Dans les temps modernes aussi - 1776 USA / 1789 F / 1848 CH - la démocratie et les droits humains sont nés au cours de la même période révolutionnaire.
Ainsi, la valeur égale de chaque homme et de sa voix est un droit humain et du même coup une condition pour des décisions démocratiques. De même, sans les droits humains que sont les libertés d’expression et de rassemblement, les conditions manqueraient pour prendre des décisions démocratiques. Car sans ces droits humains, appelés droits fondamentaux, les diverses options de décision ne bénéficieraient pas de chances égales. L’une est la condition de l’autre, bien que, dans une démocratie, les droits humains appartiennent à tous, et les droits démocratiques en général (le Jura, on le sait, est une des trop rares exceptions) aux seuls citoyens et citoyennes.
On peut même aller plus loin et montrer que la démocratie fait partie des droits humains. Car l’idée fondatrice des droits humains est la sauvegarde et le respect de la dignité de chaque individu. Et comme, sans participation aux questions qui touchent l’existence de l’individu, une vie digne est difficilement concevable, la démocratie appartient même au noyau des droits humains. Ainsi donc, de même que l’on ne peut pas opérer le cœur d’un homme sans mettre sans vie en danger, il est impossible de retirer les droits humains de la démocratie sans risquer de les perdre tous deux.
En Suisse, les droits humains ne sont pas aussi bien ancrés dans la conscience collective que l’aspiration à la démocratie. En outre, beaucoup ne voient pas la seconde comme partie de la première. On ne peut expliquer autrement la tentative illusoire des conseillers nationaux national-conservateurs de contester au nom de l’autodétermination les droits fondamentaux d’autres personnes, respectivement de les réduire. Comme si Tocqueville, voici bientôt 200 ans, n’avait pas déjà souligné qu’il ne revient pas à une majorité populaire, même autodéterminée, de prétendre rogner sur les droits fondamentaux d’une minorité. Ce serait tout aussi totalitaire que la prétention de cette majorité non seulement à légiférer, mais aussi à appliquer le droit elle-même. Dans un État de droit, ce privilège revient à l’exécutif et, en cas de conflit, à la justice. Les conservateurs nationalistes se trompent donc s’ils croient pouvoir réduire la démocratie au pouvoir de la majorité et, par-dessus, encore la laisser opérer comme instance suprême de justice.
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Hauke Brunkhorst sociologue allemand, professeur et directeur de l’institut de sociologie de l’Université d’Europe à Flensburg. Né en 1945 à Marne (Holstein), il a grandi, étudié et enseigné dans la région germano-danoise.
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Les droits de l’homme et la souveraineté populaire se conditionnent et se garantissent mutuellement. (...) La liberté naturelle est un droit de l’homme, la contrainte de la loi est le quotidien du citoyen. Comment former cette loi pour qu’elle reste compatible avec les droits de l’homme? Cela n’est possible, répond Rousseau, que si les hommes, en tant que citoyens, se donnent à eux-mêmes les lois auxquelles ils sont liés. (...) La légitimité est accessible par la légalité dans la mesure où la même personne est, dans l’un de ses rôles, destinataire, et dans l’autre, auteur de la loi.
»
Extrait du texte de Hauke Brunkhorst Droits de l’homme et souveraineté – un dilemme?, publié en allemand dans Recht auf Menschenrechte, ed. Brunkhorst/Köhler/Lutz-Bachmann, Frankfurt am Main, 1999. Texte en ligne en français http://trivium.revues.org/3358.
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