19. Mai 2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 76
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L’utopie européenne face
aux somnambules nationalistes
Il ne faut pas confondre une utopie politique concrète avec une illusion. Même si cela ne cesse d’arriver à beaucoup d’Alémaniques, c’est à la fois faux et perfide. La différence est de portée révolutionnaire. Une utopie concrète est un projet politique mûri et possible qui, une fois réalisé, pourrait améliorer les conditions de vie de bien des gens. Au contraire, une illusion est une idée irréalisable. Il est essentiel de comprendre la différence. Car beaucoup trop de gens courent aujourd’hui après des illusions, alors que les indispensables utopies concrètes manquent du soutien qu’il leur faut pour être réalisées.
On peut qualifier la souveraineté nationale comme l’une des illusions politiques les plus répandues actuellement. Elle fait croire que, malgré la globalisation économique, l’Etat national peut toujours maîtriser les plus grands problèmes et protéger les citoyens tout seul. La démocratie elle-même est victime de cette illusion. Comme elle repose encore uniquement sur la souveraineté nationale, elle n’est plus capable de fournir les prestations qu’en attendent la plupart des gens.
L’alternative, c’est l’utopie concrète de la souveraineté européenne. Elle internationaliserait la constitution, base de la démocratie, au même point que le marché, et permettrait ainsi à nouveau aux démocrates de civiliser le marché. C’est aujourd’hui plus simple que la tentative, il y a plus de 200 ans, d’ôter la souveraineté à un monarque pour la nationaliser.
Le président français Emmanuel Macron est un de ceux qui l’ont compris. Mi-avril, il s’est écrié à Strasbourg devant les eurodéputés: «La réponse à nos problèmes, ce n’est pas la démocratie autoritaire, mais l’autorité de la démocratie». Il y a dix jours à Aix-la-Chapelle, Macron affirmait: «L’Europe ne doit plus subir ni accepter que sa souveraineté soit bridée par les géants». Macron a mis en garde contre les «tabous» et le «fétichisme» (allemand), puis développé l’idée d’une «souveraineté européenne». «Seule l’UE dans son ensemble pourra protéger à l’avenir ses frontières, ses valeurs et ses citoyens».
Macron entend aussi très bien la «colère des citoyens». Il a encore dit à Aix-la-Chapelle: «Les démocraties sont confrontées à la colère de nombreux citoyens et à des incertitudes.» Mais personne n’est capable de vaincre les causes de cette colère avec des illusions nationales. Seule le pourrait la réalisation de l’utopie européenne, la mise en place d’une constitution fédéraliste comme base de la démocratie européenne. Cela permettrait aux Européens de créer les conditions pour que l’ensemble de la population profite à nouveau des fruits de son travail.
«Je ne veux pas appartenir à une génération de somnambules», a aussi déclaré Macron aux eurodéputés réunis à Strasbourg. Il faisait allusion à l’attitude de certains dirigeants européens en 1914, avant le début du premier conflit mondial. Il préfère appartenir «à une génération qui aura décidé fermement de défendre sa démocratie.» Là aussi, il convient de séparer l’utopie et l’illusion, et d’agir en conséquence.
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Ernst Bloch, né en 1885 à Ludwigshafen et mort en 1977 à Tübingen, était un philosophe allemand. Son chef d’œuvre de 1700 pages, Le Principe Espérance, a été rédigé en trois volumes durant son exil aux USA, de 1936 à 1946. Cet ouvrage a fait de Bloch le principal philosophe de l’utopie et de l’espérance au 20e siècle.
«
Un rêve ne doit jamais s’arrêter, cela n’est pas bon. Mais s’il va vers l’avant, il change complètement d’aspect. (...) Pour valoir quelque chose, le rêve doit s’en tenir à ce qui est objectivement possible. (...) L’espoir basé sur un plan et relié au possible est ce qu’il y a de plus fort et de meilleur. (...) La raison ne peut pas s’épanouir sans espoir, l’espoir ne peut pas parler sans raison.
»
Extraits du dernier chapitre du Principe Espérance d’Ernst Bloch; en français, cet ouvrage a paru pour la première fois chez Payot sous le titre Utopie - Marxisme selon Ernst Bloch, Hommages publiés par Gérard Raulet (Paris 1976).
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