27. Jan. 2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 60
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La démocratie peut-elle survivre à un Trump?
Les livres et articles posant ce genre de questions de fond prolifèrent actuellement aux États-Unis. David Frum, qui n’est pas un militant de gauche mais l’auteur néo-conservateur de discours du prédécesseur républicain de Trump, George W. Bush, vient de publier son livre Trumpocracy, sous-titré La corruption de la République américaine. «Ce gouvernement a mis le cynisme, la mauvaise foi et un comportement dictatorial au centre de notre État», écrit Frum. «Trump est le menteur le plus effronté de l’histoire de la présidence des États-Unis», ajoute-t-il.
Ce sont justement aux attitudes non démocratiques que pensent les deux politologues de l’université d’Harvard Steven Levitsky et Daniel Ziblatt lorsqu’ils parlent de normes démocratiques constamment violées par le président Trump dans leur livre Comment les démocraties meurent. Ils identifient avant tout deux normes comme garanties devenues trop évidentes de la démocratie américaine: la «reconnaissance mutuelle» des deux grands partis comme rivaux légitimes et non comme ennemis hostiles, ainsi que la «modération» des politiciens américains pour qui tout ce qui est techniquement réalisable ne doit pas être accompli. Selon Levitsky et Ziblatt, l’érosion de ces deux normes sous Trump pourrait être mortelle pour la démocratie américaine.
Dans son article Trump menace la démocratie, Nicholas Kristof - lui aussi un conservateur reconnu - mentionne quatre singularités qui transformeraient un politicien en autocrate dangereux. D’abord, il ne respecte guère la loi et le droit. Ensuite, il conteste la légitimité de ses critiqueurs. Troisièmement, il tolère la violence. Enfin, il veut réduire les libertés civiles et médiatiques. À l’exception de Richard Nixon, aucun président des États-Unis n’aurait réalisé une de ces quatre anomalies durant le dernier siècle. Kristof: «Une mise à jour est malheureusement nécessaire: Donald Trump a déjà cédé à ces quatre tentations.»
Pour David Brooks, Trump incarne davantage l’expression et le symbole de problèmes profonds que l’origine de la crise. Il désigne avant tout le développement économique nuisible, qui concentre toujours plus de richesses aux mains de toujours moins de personnes, et réduit les chances d’une bonne vie pour la majorité. Brooks y ajoute les conséquences d’un individualisme radical qui dure déjà depuis 60 ans, et d’une implacable société productiviste aussi ancienne, qui désintègre et divise la société, faisant perdre toute confiance des gens les uns envers les autres.
Brooks cite en outre le livre Pourquoi le libéralisme a échoué de Patrick Deneen, pour qui la démocratie libérale traditionnelle a créé jusqu’ici plus d’injustice que de justice, et une nouvelle aristocratie dans laquelle les gens se sentent toujours plus détachés de leurs gouvernements et les consommateurs deviennent des esclaves de leurs désirs. Brooks résume: «Nous avons surtout oublié trop longtemps de veiller à la dignité humaine.» Dans la mesure où nous pouvons changer cela, et transformer la société de telle sorte que la dignité humaine soit toujours et partout respectée, nous créerons aussi les conditions pour que la démocratie puisse survivre à un président Trump.
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David Brooks, né en 1961 à Toronto, a grandi à New York et fait des études d’histoire. Il est aujourd’hui l’un des commentateurs américains les plus respectés de politique nationale au New York Times et sur le réseau public de télévision PBS et de radio NPR.
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Quand la famille et les communautés locales ne peuvent plus soutenir quelqu’un et que la solidarité s’étiole, l’individu se sent sans défense ni protection. Il est coincé entre deux systèmes impersonnels, le capitalisme globalisé et l’État lointain. Lorsque l‘ordre social part ainsi en lambeaux, beaucoup de gens recherchent la sécurité dans l’autorité. Ainsi, les difficultés de beaucoup de personnes isolées ont porté, chez nous aussi, une forme moderne de totalitarisme au pouvoir. Ceci montre qu’il y va aujourd’hui de bien plus que de politiques. Nous devons discuter des valeurs fondamentales que notre société doit respecter, ainsi que du cadre qui peut les intégrer et ne pas nous contenter d’abandonner les gens à eux-mêmes.
»
Tiré du commentaire Comment les démocraties libérales disparaissent de David Brooks, paru le 12 janvier 2018 dans le New York Times.
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