16. Dez. 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 55

Plus ploutocrate que populiste


Patrick Colley, un chauffeur de camion de 59 ans, se trouve au restaurant Coney Island dans une banlieue miteuse de Detroit. À la surprise généra­le, l’ancienne capitale de l’automobile a aidé voici un an Donald Trump à entrer à la Maison Blanche. Colley est assis devant une bière et dit qu’il a simplement cru aux promesses de Trump de veiller réellement aux inté­rêts de la majorité des simples Américains. Mais il apprend maintenant les détails du projet d’abattage fiscal de 550 pages, qui doit permettre d’économiser au total 1400 milliards de dollars d’impôts. Colley se gratte la tête.

Aucun des dix projets de réduction d’impôts des 50 ans écoulés n’était aussi antisocial que celui de Trump. Les 7 % d’Américains qui gagnent plus de 500’000 dollars auront droit à près d’un tiers de la baisse; en dix ans, les 0,6 % qui gagnent plus d’un million de dollars pourront revendi­quer 60 % des baisses fiscales, alors que ceux dont les revenus sont légèrement inférieurs à la moyenne devront payer 1 % de plus d’impôts. Jamais la classe moyenne n’a aussi peu profité des allègements fiscaux que maintenant sous Trump. Ces plus de cent millions de personnes devront même payer davantage au bout du compte, parce que la baisse des subventions sociales de l’État sera largement supérieure à celle de leurs impôts. Le chauffeur Patrick Colley est frustré: «Les riches rece­vront ainsi beaucoup plus que la grande majorité des gens. C’est vrai­ment dramatique. Cela me rend malade. Je paye 30 % d’impôts, un millionnaire 12 %. Ce n’est vraiment pas juste.»

Les observateurs professionnels sont encore plus clairs. Paul Krugman, prix Nobel d’économie, a qualifié dans le New York Times ce projet fiscal de «plus grande manœuvre de diversion» du gouvernement depuis un siècle. Le libéral E.J.Dionne a écrit dans le Washington Post: «Le mas­que du populiste est tombé. Les républicains ne sont pas des conserva­teurs populistes, mais des kleptocrates. Ils prennent à beaucoup de gens et donnent seulement aux riches. Le milliardaire Trump n’a rien de popu­liste; il tient vraiment ses électeurs de la classe ouvrière pour des idi­ots qui se laissent détourner par ses slogans sexistes, racistes et xénopho­bes, sans voir qu’il se borne à servir ses amis riches et sa propre famille.»

Diminuer de 1 % la réduction du taux de l’impôt sur les entreprises, ce qui aurait permis d’aider réellement douze millions de familles ouvrières par des déductions pour les enfants, c’était trop pour les républicains. En revanche, tous ceux qui se déplacent en jet privé ont obtenu de plus gran­des possibilités de déductions. Et comme le sous-financement de ces baisses d’impôts pour les riches augmentera le déficit fédéral des États-Unis de 1000 milliards de dollars pour le porter à 21 billions de dollars (90 % du PNB du pays), les républicains affirmeront désormais que le gouvernement fédéral manque d’argent pour pouvoir soutenir correctement les personnes âgées, malades et pauvres.

Robert McElvaine, historien de l’économie, rappelle dans son article du Washington Post que le candidat démocrate à la présidence William Bryan disait déjà en 1896: «Il y a deux sortes de gouvernements. Cer­tains pensent que si on enrichit les plus fortunés, leur prospérité rejaillira sur les pauvres. En revanche, les démocrates estiment que si l’on en­richit le peuple, sa prospérité va se diffuser dans toutes les classes sociales, y compris celles qui étaient déjà favorisées.»

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Robert McElvaine, né en 1947 dans le New Jersey, est professeur d'histoire à l'université de Jackson en Mississippi et considéré
comme le plus grand spécialiste au monde de l’histoire
de la dépression économique des années 1930.

«
L’effondrement de l’économie américaine a eu lieu en 1929 après une décennie de pouvoir républicain à la tête des USA. Ses adeptes ont imposé de massives baisses d’impôts pour les riches, ce qui a produit la plus grande concentration de revenus parmi les 0,01 pourcent les plus riches de la population entre 1918 et 2007. (...) En tant qu’historien de la crise économiques des années trente, je peux dire, au vu du projet fiscal actuel: j’ai déjà vu cela, en 1929. En 1926, le ministre des finances Andrew Mellon, à l’époque l’un des hommes les plus riches du monde,
a imposé sous la présidence de Calvin Coolidge une forte baisse d’impôts qui a été l’une des causes principales de la Grande crise
des années 1930.
»

Extrait d’un article de Robert McElvaine, publié le 30 novembre 2017
par le Washington Post sous le titre «Je suis un historien des crises.
Le projet fiscal républicain date de 1929». Son ouvrage
The Great Depression 1929-41, a paru en 2009 en troisième édition, avec un nouveau chapitre final dans lequel il compare
la chute de 2008 à celle de 1929.


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