21 octobre 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 48

Facebook a perdu son innocence


Il y a bientôt un an que Donald Trump a été élu président des USA à la surprise quasi-générale. Mais maintenant seulement commencent à Washington les auditions parlementaires qui doivent nous donner un aperçu du rôle inquiétant joué par Facebook dans cette campagne élec­torale.

Apparemment, il s’agit de la manière dont des Russes sont intervenus dans la campagne électorale américaine. En soi, cela n’a rien d’ex­cep­tion­nel. Depuis des décennies, presque tous les grands États tentent de se mêler aux processus de décisions d’autres grands États. Peu sont capables de le faire mieux que les services secrets US.

Bien plus, la manière dont des acteurs l’auraient fait sous inspiration russe en 2016 est particulièrement intéressante. Ils se sont servis en toute légalité, mais très discrètement, de Facebook, réseau de com­mu­ni­cation réunissant aujourd’hui deux milliards de personnes dans le monde. Les adultes américains des deux sexes sont 80 % à cliquer au moins une fois par mois sur Facebook. L’entreprise occupe 18'000 personnes, et réalise un chiffre d’affaires de près de 30 milliards de francs. De ce fait, Facebook est l’une des dix sociétés les plus grandes et les plus per­for­mantes du monde.

D’après des estimations, Facebook a encaissé une grande partie des 1'400 millions de francs qui ont été investis dans les réseaux infor­ma­ti­ques pour la campagne présidentielle de 2016. Des centaines de millions ont été investis dans des annonces noires. Ce sont des annonces dont personne ne connaît le contenu et qui visent des groupes bien définis d’utilisateurs, sans être révélées aux autres. Quelque 3'000 annonces au­raient été affichées sous l’inspiration russe. Les mêmes acteurs auraient créé 470 pages fictives sur Facebook, atteignant des millions d’Améri­cains qui les ont cliquées plus d’un milliard et demi de fois. D’une part, cela a permis de répandre des mensonges sur la candidate démocrate. D’autre part, on a semé la discorde dans la société américaine en dif­fu­sant des informations fausses sur des thèmes sensibles comme l’homo­sexua­li­té, le racisme, la criminalité ou l’hostilité à l’islam. Après les élec­tions, le journaliste Craig Silverman a découvert que, durant les trois derniers mois de la campagne, les pires mensonges avaient plus été appréciés, partagés et commentés que l’ensemble des textes des grands médias NewYork Times, Washington Post, Huffington Post et NBC-News. Sans parler des manipulations algorithmiques ni des info-bulles trompeu­ses.

Première conclusion: les fondements démocratiques des élections et de la formation politique des opinions ont été ébranlés. Alexis Madrigal a écrit dans Atlantic: «Facebook a bafoué la démocratie américaine. Per­sonne, même pas l’entreprise elle-même, n’a su ce qui se passait dans l’obscurité en pleine société américaine.» Le New York Times a soumis 12 questions à la société afin de faire un peu de lumière mais Facebook n’a accepté de répondre qu’à cinq d’entre elles.

Tous attendent maintenant les auditions parlementaires et les réformes légales qui empêcheront à l’avenir d’utiliser le réseau pour la propagande mensongère, la manipulation et la falsification des débats publics. Pour la journaliste Anne Applebaum, «tous ont une responsabilité en acceptant ces techniques nuisibles et créant la discorde.» Autrement l'utopie Face­book risque de devenir une dystopie de la démocratie.

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Anne Applebaum, née en 1964 à Washington, est une journaliste et écrivaine américaine, lauréate du prix Pulitzer en 2004. Elle a notamment écrit sur le communisme et le développement de la société civile en Europe de l’Est; elle est aujourd’hui professeure à Londres.

«
Facebook (...), non la Russie, a créé la technologie capable d’établir des profils imaginaires et de diffuser de fausses annonces ou de les faire parvenir uniquement à certains de ses utilisateurs. (...) Il n’y a aucune raison que les lois en vigueur sur la publicité politique et la véracité publicitaire ne s’appliquent pas aussi aux réseaux dits sociaux. (...)
La liberté d’opinion et d’expression est un droit humain,
non des bytes ou codes informatiques.
»

Extrait d’un commentaire d’Anne Applebaum paru le 16 octobre 2017 dans le Washington Post sous le titre Qui va utiliser
les trucs de la Russie?



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