15.04.2017


Le Quotidien Jurassien

La Mosaïque de la Démocratie

Fragment 23

Une transformation historique
de la démocratie en France



«Nous sommes en train de vivre une élection historique de rupture dé­mocra­tique»: voilà la thèse du maître à penser français de la démocratie, Pierre Rosanvallon (Voir LQJ du 18.2.2017). Traduit dans notre concept de la Mosaïque de la démocratie, cela veut dire que nous sommes en train de vivre un changement de la grandeur et de l´importance de quel­ques pièces en faveur des autres pièces constituant la Mosaïque de la démocratie.

De quelles pièces parlons-nous? Rosanvallon mentionne d’abord les grands partis et leur représentation: «L’affaissement des partis tra­di­tion­nels n’est pas seulement un effet de circonstances, dû à la faiblesse de leurs deux représentants dans ce scrutin, il traduit lui aussi cette pro­fon­de rupture: la disparition d’une démocratie de représentation où le parti politique répondait à une demande sociale, où il était l’image résumée d’un groupe social, d’un ensemble d’opinions. Elle s’efface au profit d’une démocratie d’identification radicalement différente: le candidat fait une proposition au pays à laquelle des individus adhèrent ou non.»

Trois des quatre candidats à l’élection présidentielle, qui semblent avoir le plus de chances à arriver au deuxième tour, représentent des mou­ve­ments autour d’une personnalité charismatique sans êre un véritable parti. Rosanvallon: «Le poids grandissant de l’exécutif dans nos démo­craties a peu à peu réduit les partis politiques à des branches mortes. Sans pouvoir réel ni fonction unificatrice, ceux-ci disparaissent au profit de l’identification à un président.»

Deux autres fondements de la démocratie sont aussi en train de se trans­former ou de se faire substituer. Rosanvallon: «Les communautés de sen­timents l’emportent désormais sur les communautés d’intérêts. Dans un temps où nous sommes confrontés à beaucoup d’incertitudes (...), les sentiments du refus et du rejet s’imposent. La démocratie s’appuie désormais plus sur les émotions et les croyances que sur les idées. (...) Le débat ne porte plus sur les idées, mais vire au pur volontarisme. (...) Un débat démocratique, ce n’est pas mettre face à face des opinions déjà constituées, c’est la possibilité de changer de point de vue après un échange d’arguments. Les débats médiatiques actuels ne le permettent pas, au contraire.»

Mais il n’y a pas que le débat qui se transforme en une confrontation sté­rile, son contenu, sa substance change. Et Rosanvallon de s’en référer à l’homme aux sources de la démocratie directe et au citoyen éclairé, le Marquis de Condorcet (LQJ 12.11.2016): «Aujourd’hui, le rapport entre connaissance et démocratie est ténu (...) Si Condorcet se réveillait au­jourd’hui et qu’on lui disait qu’existe une population ou 80 % d’une classe d’âge possède le niveau bac, il s’écrierait: c’est la société des Lumières qui va être réalisée. Seulement, en parallèle du développement de la connaissance, nous avons assisté à l’effondrement des pouvoirs in­vi­sib­les qui structurent la société: l’autorité (...) de la science, de la con­nais­san­ce, est gravement atteinte; la légitimité subsiste mais elle se réduit, se fragmente. Quant à la confiance, c’est à dire l’hypothèse favorable que l’on peut construire sur le comportement futur d’une personne, elle s’est effondrée!»



---------------------

Jacques Attali, né 1943, économiste et écrivain français,
ancien conseiller spécial de François Mitterrand de 1981-1991:

«
Le grand problème de notre temps c’est la contradiction d’avoir une globalisation des marchés mais pas une globalisation de l’état de droit.
Et un marché sans état de droit est forcément un désastre qui conduit à une crise et a une croissance de l’économie inégales et criminelles. (...) Le marché a besoin de la démocratie. (...) Ça s’est grippé parce que, premièrement, le marché est devenu mondial alors que la démocratie, non. Le marché l’emporte, donc les gouvernements sont discrédités
et les politiques ont perdu le pouvoir.
»

Extraits d’interviews avec Attali, RTS radio 4.9.2016
et du magazine GQ 27.2.2017.



Kontakt mit Andreas Gross



Nach oben

Zurück zur Artikelübersicht