8. Mai 2017

Le Quotidien Jurassien

Présidentielle française - De Saint-Ursanne
à Paris pour veiller au bon déroulement des opérations de vote



L’élection présidentielle française a été observée de près par un habitant de Saint-Ursanne: Andreas Gross, dans le cadre d’une mission inter­na­tio­nale. «Il n’y a pas de démocratie parfaite, on peut toujours faire mieux. L’idée est d’analyser toutes les démocraties, y compris les démocraties matures et fortes qui fonctionnement normalement bien, mais où on peut toujours apprendre», explique Andreas Gross.

La France maîtrise particulièrement bien la question de l’argent engagé dans la campagne électorale ainsi que l’équilibre de la présence des candidats dans les médias. Interview.

Andreas Gross, l’habitant de Saint-Ursanne, a observé l’élection pré­si­den­tielle française pour le compte de l’OSCE/ODIHR (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe/Office pour les institutions dé­mo­cratiques et les droits humains). Il dirigeait une mission de trois per­son­nes. Un collègue italien contrôlait le respect des règles légales con­cer­nant les médias, une spécialiste anglo-américaine faisait de même pour les règles limitant l’influence de l’argent dans la politique. Andreas Gross observait la campagne en général. La mission a commencé le lundi 12 avril, elle se termine demain. La journée du 7 mai a évidemment con­stitué un moment fort de la mission, même si ce n’était pas la priorité du cahier des charges.

Propos recueillis par Georges Maillard.

Le Quotidien Jurassien. – Pourquoi ces missions?

Andreas Gross. – Il n’y a jamais de démocratie parfaite, on peut toujours faire mieux. L’idée est d’analyser toutes les démocraties, pas seulement les jeunes démocraties, mais aussi les démocraties matures et fortes qui fonctionnent normalement bien, mais où on peut toujours apprendre quelque chose.

Qu’est-ce qui fonctionne bien en France?

La France est très forte dans l’aspect régulation de l’argent et des mé­dias, des domaines où la Suisse est spécialement faible. La France a décidé il y a 40 ans de casser la manipulation de la démocratie par l’argent et l’inégalité des chances dans les médias. Les grands partis étaient privilégiés, la place accordée dans les médias n’était pas équi­librée. Des règles ont été affinées pour séparer la politique de l’éco­no­mie, casser l’influence de l’argent dans la compétition électorale et garantir l’équilibre des chances dans les mé­dias, surtout dans les mé­dias électroniques. Par exemple, un règlement s’occupe des radios et télévisions, soit environ 30 sociétés qui occupent 95 % du marché de la radio et télévision.

Comment cela fonctionne-t-il pratiquement?

Il y a trois étapes dans les élections. Dans la première, il faut garantir l’équilibre et l’équité. Durant les deux semaines avant le premier tour et entre les deux tours, il faut une égalité totale entre les candidats.

Comment se passe le contrôle de l’argent?

En France, on a cassé le lien de dépendance entre l’argent privé et la politique, en prenant en charge le financement de la campagne des can­didats aux élections. Il y a des exigences très intéressantes. Un individu ne peut pas donner plus de 4600 euros par année pour un candidat, pas plus de 7500 euros par année pour un parti. Il y a aussi une interdiction faite aux entreprises ou personnes morales de donner aux candidats ou aux partis. Chaque candidat à la présidence qui obtient 1 % des voix reçoit 800 000 euros, et dès 5 %, 8 millions d’euros. Pour le deuxième tour, chacun reçoit environ 22 millions d’euros.

C’est beaucoup.

L’É français investit beaucoup pour les élections présidentielles et lé­gis­la­tives. En 2012, l’É a payé 600 millions d’euros, en 2007 415 millions. Le résultat de cet effort, c’est que les grands partis ne peuvent pas se cacher derrière les structures oligarchiques. Emmanuel Macron, en une année, a pu faire la démonstration que cela fonctionne, que les anciens ne sont pas favorisés à cause de leurs liens avec les médias ou l’éco­no­mie. En Suisse tout le monde peut tout se permettre. La compétition politique est truquée, ceux qui ont beaucoup d’argent ont beaucoup plus de chances d’obtenir ce qu’ils veulent. J’ai une grande admiration pour ce que les Français ont été en mesure de réaliser. En Suisse il faudrait agir différemment pour obtenir ces résultats.

Que dire de l’irruption en dernière minute de mails privés volés par des hackers et de fausses informations?

La France a maîtrisé cela d’une manière étonnante. Tous les médias ont respecté la règle de l’interdiction de mentionner le nom des candidats la veille de l’élection. Le piège a été déjoué.

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«Cette élection était un rejet énorme»

Pour Andreas Gross, «cette élection était un rejet énorme: elle a exprimé une volonté de recommencer, rénover, repenser la politique d’une maniè­re incroyable. Dans l’histoire de la Ve République, il n’y a jamais eu d’éli­mi­nation des deux grands partis au deuxième tour, jamais ils n’ont eu un si mau­vais score ensemble. En même temps, 4 mouvements ont fait mieux que les grands partis, dont celui de Macron qui n’existait pas il y a une année. Maintenant, la grande question est de savoir si cette ré­no­va­tion est possible. Comment le président va-t-il trouver sa majorité? Avec un Parti socialiste en train d’exploser, l’idée que la société se regroupe dans deux grands camps devient archaïque. Il y a 4 ou 5 camps qui vont se battre pour le premier tour. Ce qui était exceptionnel par le passé, les élections triangulaires ou quadrangulaires, va devenir la normalité pour le 2e tour. Ce système est-il capable de se transformer sans se remettre en question? On a vécu deux des cinq tours, et le dernier se déroulera dans la rue, où le président se doit de réussir. La République en marche n’aura peut-être pas la majorité absolue mais l’Assemblée nationale va se renouveler à environ 50 % des sièges. Des 290 socialistes, il en restera moins de 100, des 250 conservateurs, une centaine survivront.»

Andreas Gross note qu’Emmanuel Macron est «homme de centre gau­che, qui a une responsabilité sociale, l’idée d’une société où personne ne devrait être abandonné. Mais il sait comment l’économie moderne foncti­on­ne et il faut réaliser ce projet dans le cadre transnational. Il a compris que la démocratie ne peut être restaurée que par l’Europe, pas sans l’Europe.» GM


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