27 Mars 2017

Le Quotidien jurassien

Mosaïque de la démocratie

Fragment no 20

Ce que Pierre Péquignat et
Tom Paine nous apprennent



La démocratie est un projet permanent et vit elle-même de projets. De grands projets politiques de longue portée. Les démocrates s’engagent dans pareils projets sans être sûre de leurs chances de succès. Seule importe la conviction qu’ils sont libérateurs, justes et novateurs, et que le chemin correspond au but à atteindre, non-violent, porté et réalisé par la mobilisation et l’engagement des majorités des intéressés.

Nous devons même la démocratie aux nombreux hommes et femmes qui ont refusé d’endurer le pouvoir absolu de monarques ou d’évêques autocrates. Deux d’entre eux seront évoqués ici. Ils se sont soulevés au 18e siècle contre l’oppression et l’asservissement de leurs semblables; ils ont lancé une véritable révolution qu’ils ont voulu mener à un ordre républicain libéré.

Le premier voulait délivrer notre région des mains d’un prince-évêque tyrannique et créer un nouveau canton suisse - un siècle avant l’éla­bo­ra­tion de l’État fédéral. L’autre a été le premier à prôner la libération des 13 colonies du roi britannique pour créer les États-Unis d’Amérique. Les deux hommes méritent aujourd’hui encore que l’on rappelle leur action. Car ils nous apprennent à saisir les causes des problèmes et à trouver le courage de les dénoncer et de lutter pour donner de meilleures bases à notre vie commune.

Le premier est Pierre Péquignat (1669-1740), paysan à Courgenay. Pen­dant les fameux Troubles de 1726 à 1740 sur le territoire de l’actuel canton du Jura, il a été appelé à la tête des représentants communaux des paysans (commis). Les Troubles résultaient des charges toujours plus lourdes imposées par le prince-évêque à ses sujets. Pourtant, ceux-ci n’avaient pas de quoi vivre. Ils ont résisté, refusé de payer les impôts abusifs, défendu leurs terres et droits forestiers. Pierre Péquignat a com­pris qu’une confrontation violente serait inévitable. Les commis paysans ont décidé d’envisager une république paysanne, et de l’intégrer comme nouveau canton à l’ancienne Confédération et de rechercher des appuis pour faire face à la violence de l’évêché.

Mais la ville de Bâle, plus oligarque que républicaine, a décliné. Tout comme les Confédérés protestants emmenés par les Zurichois. Les aristocrates de Berne avaient eux aussi plus d’affinités avec l’évêché qu’envers les paysans d’Ajoie. De même, les intérêts des cantons catholiques dirigés par Lucerne se tournaient plutôt vers l’évêque que vers leurs malheureux coreligionnaires. Les paysans révoltés du Jura sont donc restés seuls. Les troupes du roi de France sont venues à la rescousse de l’évêché, occupant l’Ajoie et la vallée de Delémont. Beau­coup de commis et sympathisants ont été arrêtés. Péquignat et trois de ses collègues finissant par être exécutés. Son utopie était venue un peu trop tôt; il a fallu attendre la Révolution française pour que les paysans soient libérés.

Notre second exemple, le journaliste Tom Paine (1737-1809), a aussi encouragé une révolte contre des impôts illégitimes et trop dures. Beau­coup plus loin des anciennes puissances, Paine a publié en janvier 1776 son pamphlet Common Sense. Message centrale: «Nous n’avons pas be­soin d’un roi; nous pouvons nous gouvernés nous-mêmes!» Avant que l’armée britannique puisse combattre les révoltés américains, ceux-ci étaient déjà trop bien organisés et pouvaient compter sur des alliés – ironiquement les mêmes Français, qui ont alors soutenu pour des rai­sons impérialistes ce qu’ils n’avaient pas toléré dans leur voisinage.


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Tom Paine, né à Norfolk (GB) en 1737, a émigré pauvre à Philadelphie (USA) en 1774, et y a travaillé comme journaliste. En 1776, il a publié Common Sense, ouvrage le plus influent de la Révolution américaine et premier bestseller du Nouveau Monde. Devenu «apôtre de la liberté», Tom Paine s’est aussi engagé avec les Girondins dans la Révolution française, notamment comme auteur des Droits des Hommes.
Il est mort en 1809 à New York.

«
La monarchie devient toujours plus une institution risible, ignorante
et répressive. (...) Personne ne devrait jamais avoir le droit de toujours préférer sa propre famille, et de la faire régner sur toutes les autres. (...) Le simple homme est plus important pour la société que toutes les têtes couronnées. (...) Le temps de la conciliation est passé. (...) Une nouvelle ère politique a commencé, une nouvelle manière de penser. (...)
Les relations naturelles entre la Grande-Bretagne et ses colonies sont rompues. C’est le moment de partir – telle est aujourd’hui l’unique conclusion possible. (...) Seul notre propre gouvernement, américain
et républicain, peut nous protéger et nous donner la paix. Nous devons convoquer une convention continentale, adopter une constitution,
élire un président et une assemblée fédérale.
»

Extraits de Common Sense, édité 25 fois durant les trois mois suivant sa publication en janvier 1776, et vendu 500'000 fois en une année auprès de 3 millions habitants des 13 colonies.



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