10. Dez. 2017

Le Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment 6

Ces gens qui ne font
pas (encore) partie du peuple



Il y a deux semaines, les Suisses ont renoncé à arrêter les centrales nucléaires dans un avenir proche. La décision a été prise en votation populaire, la forme démocratique la plus directe. Ce sont les personnes concernées qui décident. Vraiment?

En réalité, moins de la moitié des quelque cinq millions de Suisses et Suissesses en droit de voter ont pris part à la décision. Ces votants ne comprennent ni les enfants, ni les jeunes, ni les quelque deux millions de personnes vivant en Suisse sans le passeport national. Même en démo­cra­tie, l’ensemble des gens concernés ne font donc pas partie du peuple qui décide (δῆμος dēmos en grec).

Le peuple est le sujet de la démocratie, en d’autres termes le cœur de la mosaïque démocratique. Mais qui compose vraiment ce peuple? Fonda­men­ta­lement tout le monde, pourrait-on penser, car il ne serait pas dé­mo­cratique d’en exclure quelqu’un. Mais c’est là l’utopie démocratique.

Qu’en est-il dans la pratique, vieille d’environ 225 ans? Cela a toujours été compliqué, mais on constate une légère tendance à l’amélioration. Au début, beaucoup de personnes ne faisaient pas partie du peuple, c’était même la majorité de la population. Dans les États-Unis d’Amé­rique naissants, dont la révolution de 1776 est considérée comme le berceau de la démocratie, les femmes, les gens de couleur, les hommes sans fortune en étaient exclus. Pour eux, l’utopie démocratique n’était qu’une idéologie, une promesse non tenue.

Pourtant l’utopie démocratique a permis de mobiliser tous ceux qui vou­laient réduire l’écart entre revendication et réalité de la démocratie. Parmi eux figuraient, dès la Révolution française, la femme de lettres Olympe de Gouges et le philosophe Marie Jean de Condorcet, que nous connais­sons déjà. Tous deux étaient Girondins de naissance et d’identité poli­ti­que (cf. Mosaïque no 2, QJ du 12.11.2016).

L’une et l’autre ont été sensibles à la première phrase de la Déclaration des droits de l’homme d’août 1789, qui pose le principe fondateur de la démocratie moderne: «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits». Le terme linguistique hommes comprend aussi les femmes, mais en fait elles ont été oubliées par les révolutionnaires français. Olympe de Gouges l’a rappelé en septembre 1791, en ouvrant sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne par une phrase corrigeant l’aveuglement révolutionnaire: «La femme naît libre et de­meure égale à l’homme en droits». Condorcet partageait cette conviction avec Olympe de Gouges et n’a pas oublié en 1790 les Noirs et les escla­ves, qui n’avaient pas non plus été libérés en 1789.

Depuis lors, la lutte des démocrates tend aussi à n’oublier personne dans la définition du peuple. Dans le Jura aussi, où les personnes sans passeport suisse ont plus de droits politiques que dans la plupart des autres cantons. Un progrès dont la Suisse entière devrait s’inspirer si elle entend rester crédible comme vraie démocratie.

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Olympe de Gouges (1748-1793), citoyenne engagée qui a rédigé
le premier plaidoyer radical pour l’égalité universelle des genres
dans la loi et s’est fait un nom comme auteure de pièces de théâtre.

«Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, (les mères, les filles, les sœurs ...) ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs. (...). En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage (...) déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.»

Préambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges, refusée par l’Assemblée législative
le 28 octobre 1791
(Source: Texte en ligne BNF, http://gallica.bn.fr/ark:/12148/bpt6k426138,; Leopold Lacour, Les Origines du féminisme contemporain: trois femmes de la Révolution, Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Rose Lacombe, dans Klejman/Brive, Les Femmes de la Révolution française: L’Effet 89, Toulouse, PU du Mirail, 1991)




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