7. Jan. 2017
Le Quoditien Jurassien
Mosaïque de la démocratie
(Fragment 9)
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La politique n’est pas une fatalité
L’historien jurassien Paul-Otto Bessire (1880-1958) a écrit en 1935 que les Ajoulots étaient «toujours si sensibles à la musique des mots». Certes, Bessire se référait aux Ajoulots des années 1730. Ainsi il ne pouvait pas dire cela par sa propre expérience. Nous pouvons donc considérer que son jugement de l’hier sur la réalité d’avant hier reste valable aujourd’hui.
Maintenant, la sensibilité à la musique des mots ne concerne pas seulement ceux que l’on exprime soi-même, mais aussi ceux que l’on entend ou lit. Les Ajoulots ont donc dû être particulièrement effarés de lire à la fin 2016, annus horribilis, que «la politique est une fatalité». C’était pourtant imprimé en majuscules à la une de la Neue Zürcher Zeitung (NZZ), premier quotidien suisse.
Et dans le feuilleton du même numéro, la NZZ fait dire à l’écrivain argentin Cesar Aira: «La politique n’apporte rien à personne. Ce n’est pas la politique, mais l’histoire qui change la vie des gens.» Comme si l’histoire pouvait exister sans politique. Et comme les gens n’auraient rien à dire aux changements de leurs vies.
Pourquoi ce tapage de fin d’année? Veut-on nous réconforter en proclamant que nous ne pouvons rien à la situation déplorable du monde? Ou veut-on nous endormir, en insinuant qu’il faut laisser l’argent et les marchés régner à leur guise? Ou veut-on éliminer le démos (le peuple) de la démocratie? Veut-on libérer la politique des humains, afin qu’aucun ne puisse plus déranger les puissants et combattre les causes des injustices?
Je préfère me souvenir de la devise de la Révolution française: «La vie n’est pas une fatalité!» Elle n’est pas déterminée ni par Dieu, ni par le roi ou ni par le capital. Bien au contraire: nous pouvons et voulons décider nous-mêmes des fondements de notre vie commune. C’est cela qui est la liberté. La liberté de pouvoir agir ensemble avec. -- De manière à «lancer quelque chose de nouveau dans le monde» (la philosophe Hannah Arendt, cf. mosaïque no 5, lQJ du 3.12.2016). Pour permettre aux gens de s’épanouir, de déployer leurs facultés, sans contrarier ou humilier les autres.
La politique n’est rien d’autre que le lieu où tous ces actes et efforts se rencontrent. L’espace public où s’organise la vie commune des différents citoyennes et citoyens. Selon Hannah Arendt, la raison d’être de la politique c’est la liberté, son champ d’expérience c’est l’action.
Telle est la musique que les Jurassiens ne sont pas seuls à vouloir entendre au début de la nouvelle année. Afin qu’elle va faire une différence, qu’elle soit plus que la continuité de la dernière. Car nous voulons renforcer la démocratie, et non y renoncer. Il y a assez longtemps que la cacophonie de la NZZ la déforme.
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Marcel Gauchet est un philosophe et historien français, né en 1946 a Polley (Manche), et rédacteur en chef de la revue Le Débat (Gallimard) qu’il a fondé 1980 avec Pierre Nora. Gauchet croit que la démocratie peut reprendre la main sur un capitalisme financiarisé et ainsi restaurer la liberté de nous tous:
«La politique tout court, dans le cadre démocratique, n’est rien d’autre que cette dynamique qui fait communiquer l’individuel et le collectif, ou les deux sphères s’articulent et se compénètrent. (...) Avant d’être un montage institutionnel, la démocratie est l’expérience d’un accord fondamental: l’accord d’un individu qui se construit comme citoyen avec la collectivité à laquelle il appartient.»
(Extrait du dernier chapitre du dialogue entre Alain Badiou et Marcel Gauchet, publié sous la question Que faire? 2014 à Paris dans Philosophie éditions, 161p.)
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