10. Nov. 2016

Le Temps

La moitié de la population n’a pas
profité de l’évolution économique



Vous avez passé sept semaines aux États-Unis au moment des pri­mai­res. Quelle a été votre première impression?

Sur place, les discours de Trump m’ont tout de suite rappelé à Arnaud Montebourg, qui lors des primaires françaises de 2012 voulait «restaurer la grandeur de la France». Il promet de doubler la croissance, de re­con­struire le pays, de réhabiliter les infrastructures. Bien sûr cela ne va pas être facile et il risque à son tour de faire de nouveaux déçus, mais la promesse «on va faire autrement» a porté. Aux États-Unis, dans cer­tai­nes régions, dès que vous sortez de la grande route, vous pouvez avoir l’impression d’être dans le tiers monde. Il n’a pas d’expérience de gou­vernement, mais c’est justement pour ça que je vais voter pour lui m’a dit, dans un salon-lavoir, le premier électeur de Trump que j’ai pu ren­contrer.

Au final le résultat vous a-t-il surpris?

Absolument oui, j’ai aussi sous-estimé le râle-bols, le désespoir, la frus­tra­tion, la disponibilité à la révolte. Les démocrates ont perdu la Penn­syl­va­nie et d’autres états qui formaient le coeur de leur force, car ils ont perdu les travailleurs blancs qui se sentent abandonnés par l’estab­lish­ment. Les emplois industriels ont été remplacés par des emplois du tertiaire dont les salaires sont plus bas et les conditions de travail moins défendues par les syndicats. Le salaire moyen a baissé, la moitié de la population n’a pas profité de l’évolution économique. Les anciens pro­duc­teurs de voiture ne peuvent plus acheter les voitures que d’autres pro­duisent aujourd’hui à leur place! - Depuis les mandats de Bill Clinton déjà, la politique a perdu la capacité d’influencer l’économie et de fixer des limites au marché dans l’intérêt des travailleurs. Hillary Clinton a infléchi son discours dans ce sens dans les dernières semaines, mais elle reste l’incarnation d’un establishment qui pense que tout va bien et elle n’a jamais formulé de critique sur l’action de son mari, alors que c’était peut-être une condition pour redorer le blason de la politique.

Le bilan d’Obama?

La politique d’Obama vaut sans doute mieux que sa perception dans le public, mais lui aussi s’est éloigné du peuple, qui ne se reconnaît pas dans un personnage aussi parfait, aussi brillant. Il faut aussi tenir comp­te d’un racisme structurel de la société américaine: une frange impor­tan­te n’a jamais vraiment accepté l’élection d’un noir à la présidence et il y a un élément de revanche dans le résultat d’aujourd’hui.

Vous êtes un admirateur de Bernie Sanders ...

Bernie Sanders a tenu, lui, un discours qui plaisait aux déçus du sys­tème. Mais je ne crois pas qu’il aurait pu gagner à la place de Mme Clinton, il est trop controversé, trop à gauche pour un pays majori­tai­re­ment conservatrice. En disant que les USA ne peuvent plus assumer le rôle de gendarme du monde alors que le pays souffre à l’intérieur, Donald Trump rejoint l’expérience concrète d’une partie de la population, qui passe par-dessus ses propos racistes et sexistes. Le réflexe social a été plus fort que la solidarité de genres, Mme Clinton n’ayant en rien profité d’un effet femme, la question sociale était pour la majorité des femmes non privilégiés et blanc prioritaire.

Une leçon pour les politiciens européens?

La situation américaine n’est pas si éloignée de la nôtre. Les politiciens doivent absolument réapprendre à écouter et à s’adresser aux milieux non privilégiés qui se sentent laissés à eux-mêmes. Notre époque n’a jamais autant communiqué, mais cette communication est inversement proportionnelle à la capacité d’écoute et de compréhension. La Suisse est en partie moins touchée, grâce au système de démocratie directe, mais la France, l’Italie et l’Allemagne doivent l’admettre: des élections tous les quatre ans cela ne suffit pas. Le discours anti-immigrés peut plaire à ceux qui trouvent qu’on s’intéresse trop aux réfugiés, aux mi­norités et pas assez à la population indigène en difficulté, même s’il ne résout bien sûr aucun problème. Les politiciens doivent faire moins con­fiance aux médias classiques et aux sondages du mainstream mais trouver un chemin direct vers ces électeurs, qui ne demandent au fond rien d’autre qu’un redressement du pouvoir de la politique. Mais ceci ne va pas se réaliser dans le cadre de l’état-nation, mais transnationale, au minimum dans le cadre d’une Europe rénové fondamentalement. On leur a trop parlé de concurrence et de compétitivité, il faut revenir à la solida­ri­té et à l’idée que l’économie peut servir tout le monde et pas seulement ceux qui tirent leur épingle du jeu.


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