27. April 2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 118
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De la valeur de l’indépendance
Pourquoi les Jurassiens ont-ils réussi il y a 40 ans ce qui est resté jusqu’ à aujourd’hui hors de portée des Ecossais et des Catalans? Pourquoi le conflit catalan ne donne-t-il, paradoxalement, pas la faveur au Parti populaire et à son patriotisme malgré la vague patriotique avant les élections législatives espagnoles de demain dimanche? Quelles sont les différences et les convergences entre les mouvements d’indépendance écossais et catalan? Le journaliste britannique Neal Ascherson a répondu à ces questions en commentant en détail l’histoire comparée des deux peuples établie par son compatriote J.H. Elliott.
Les Jurassiens, reconnus depuis 1950 comme peuple et communauté dans la Constitution bernoise, formaient une entité. De plus, le Jura relevait d’une constitution qui pouvait être modifiée à tout moment. Les Catalans ont certes eux aussi un statut d’autonomie et une reconnaissance comme nation et communauté. À ce titre, ils peuvent songer à leur indépendance, la rechercher ou même la déclarer unilatéralement, comme ils l’ont fait en octobre 2017 dans une sorte de référendum autoproclamé. Mais cette reconnaissance est réglée par une constitution de 1978 qui parle par ailleurs tout aussi clairement de «l’unité indissoluble de la nation espagnole» et de la «patrie indivisible de tous les Espagnols». Cette contradiction est le fruit de compromis usuels lors de travaux constitutionnels. Son caractère explosif s’exprime actuellement dans le procès intenté aux «séparatistes criminels» à Madrid. Il est encore accentué par le fait que la Constitution espagnole ne peut être révisée que par le biais d’une majorité parlementaire des deux tiers, et qu’une telle révision ne peut être déclenchée uniquement par un plébiscite.
De son côté, le Royaume-Uni, dont l’organisation est également très centraliste, fonctionne sans constitution écrite. Mais selon un droit coutumier accepté un peu à contrecœur par les Anglais, les Ecossais peuvent régulièrement réfléchir à leur indépendance et même l’exiger. Quand ils la décident à la majorité, dans un plébiscite convenu avec le Gouvernement britannique - on sait que cela a échoué de peu en 2014 - elle leur est accordée même sans l’accord explicite du peuple britannique. Cela serait pourtant requis dans un contexte fédéraliste, par exemple dans le canton de Berne ou la Confédération. Cette remarquable ouverture britannique, face au blocage espagnol, peut s’expliquer par le fait que l’Ecosse a été indépendante avant d’accepter l’Acte d’union en 1707.
Le référendum catalan a déclenché une vague patriotique, mais le Parti populaire risque néanmoins d’être puni. Reste à voir si le premier ministre sortant, Pedro Sanchez, sortira renforcé des élections de demain et si cela lui donnera le courage de chercher une entente avec les indépendantistes catalans en envisageant un véritable référendum aussi légal que légitime. Reste également ouverte la pertinente remarque que le journaliste Neal Ascherson a formulée à l’adresse de Bruxelles à la fin de son article remarquable: «L’UE, qui piteusement refuse toutes les tendances séparatistes au sein des États membres, oublie qu’au minimum 19 de ses 28 membres doivent leur existence à une séparation illégale d’un État plus grand, en commençant par la séparation des Pays Bas de l’Espagne au XVIe siècle.»
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Neal Ascherson est un écrivain et journaliste écossais né en 1932 à Edinbourg. Il a étudié l’histoire à Cambridge. Durant 40 ans, Ascherson a travaillé comme journaliste de premier plan pour The Guardian, The Scotsman et The Observer.
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Les nations post-impériales semblent presque aveugles envers la valeur de l’indépendance, si claire pour ceux qui en sont privés. (...) Si l’Ecosse devient un jour l’État indépendant le plus jeune d’Europe, un Royaume-Uni toujours puissant continuera sans doute à réunir l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. La survie de l’Espagne serait moins certaine si la Catalogne en faisait autant. Les autres régions imiteraient-elles la Catalogne et s’uniraient-elles en tant que Basques, Galiciens et Valenciens dans une sorte de Confédération ibérique? La seule certitude, c’est qu’en Europe occidentale, une autorité centrale capable de se maintenir au pouvoir uniquement par la répression devrait changer cela ou disparaître.
»
Extrait d’un article de Neal Ascherson paru dans le New York Review of Books du 18 avril 2019. Il y commente un livre de l’historien britannique J.H. Elliott intitulé Ecossais et Catalans, union et désunion (Yale University Press, 2018, disponible en anglais seulement).
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