2. März 2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 111
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La France aux prises avec le référendum
Le référendum est une création française. C’est le philosophe révolutionnaire Nicolas de Condorcet (1743-94) qui a développé ce droit de démocratie directe en 1793. Il présidait alors le premier comité chargé de rédiger une constitution nationale sous la Révolution. Il voulait donner à des assemblées primaires le pouvoir de «censurer la loi dans les quarante jours suivant la proposition des députés». Mais ce droit de référendum n’a jamais été appliqué en France.
Les deux Napoléon se sont pourtant emparés du référendum, plus précisément de la souveraineté populaire. Ils ont mis celle-ci à leur service en faisant du référendum un plébiscite. En d’autres termes, ils ont transformé un droit civique en instrument de domination. Ainsi, Napoléon Bonaparte a été élu «par le peuple» Premier consul en 1799, puis consul à vie en 1802. Napoléon III a fait entériner son coup d’État par «le peuple» en décembre 1851, puis restaurer l’Empire un an plus tard. Ces plébiscites sont devenus par-là les instruments favoris des despotes, qui s’arrogeaient ainsi une légitimité défaillante.
En conséquence, le référendum plébiscitaire avait mauvaise réputation en France. Les démocrates s’en méfiaient profondément, tant sur le plan scientifique que politique. Pourtant, le général de Gaulle, après son coup d’État de 1958, a inscrit cet instrument à l’article 3 de la constitution de la Cinquième République française: «La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum».
Comme l’écrit la constitutionnaliste Marie-Anne Cohendet: «De Gaulle en a fait un usage intensif pour accroître sa légitimité. Sans le référendum, il n’aurait pas pu modifier la Constitution en 1962 pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel. C’était pour assujettir le Parlement. Le référendum a joué un rôle énorme dans la présidentialisation du régime» (Le Monde, 23 février 2019).
Tout cela n’a nullement amélioré la réputation du référendum plébiscitaire. Très généralement, celui-ci est vu comme un instrument de manipulation aux mains du pouvoir et comme un affaiblissement du Parlement. Même les gilets jaunes, le mouvement populaire de l’hiver, doivent le reconnaître. Leur revendication favorite, baptisée référendum d’initiative citoyenne (RIC), porte toutefois sur un droit très différent. Il correspond à ce que nous appelons en Suisse initiative législative. Ce n’est pas un instrument de domination, mais un droit populaire.
Certes, cette exigence des gilets jaunes fait toujours un bon score dans les sondages publics. Au début de février, deux tiers des personnes interrogées se disaient favorables au RIC. Une majorité parlementaire a néanmoins rejeté le 21 février la version de la France insoumise après un débat tendu de trois heures. Et dans le public, beaucoup ne semblent pas faire de différence entre droit d’initiative populaire et référendum plébiscitaire. Elaboré avec soin, le RIC peut donner une réponse partielle à la crise de la démocratie en France. Analyse de l’ancien chef d’entreprise Pierre Zémor: «La crise est tellement profonde qu’il n’est pas possible de s’en tirer par une pirouette économique et sociale. Elle pose également les questions institutionnelles et de fonctionnement de la démocratie.»
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Dominique Rousseau, né en 1949, a étudié le droit à l’université de Montpellier, où il a ensuite enseigné jusqu’en 2013. II est aujourd’hui professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Depuis 2016, il est aussi membre du Tribunal constitutionnel d'Andorre.
«
Ce sont les 'gens' qui s’expriment dans un référendum. A ne pas confondre avec les citoyens. Hannah Arendt distingue l’homme comme individu dans l’espace privé et comme citoyen dans l’espace public. On devient citoyen par l’école, par la participation à des associations, des syndicats, par la rencontre avec les autres. Or, aujourd’hui notre forme de société ne cherche pas à ce que les 'gens' deviennent 'citoyens'. La démocratie représentative n’a pas besoin de citoyens, mais d’électeurs. Le système libéral n’a pas davantage besoin de citoyens, il a besoin de travailleurs et de consommateurs. La forme de société que je propose, la démocratie continue, elle, a besoin de citoyens, c’est-à-dire d’hommes et de femmes qui, entre deux moments électoraux, continuent de surveiller les élus, de réclamer et d’intervenir dans la fabrication des lois et des politiques publiques.
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Extrait de l’interview de Dominique Rousseau publiée par Le Monde le 23 février 2019 sous le titre Cet outil (le référendum) favorise les idées reçues.
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