05.01.2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 103
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La crise de la démocratie
La thèse de la crise de la démocratie est en fait aussi ancienne que la démocratie moderne elle-même. On trouve des articles en anglais sur la crise de la démocratie déjà avant et après la Première Guerre mondiale. Sans parler des années 1960 et 1970. Pourtant, le caractère de la crise actuelle est différent. L’ambition de la démocratie à être l’unique forme d’organisation raisonnable de la politique et de la société a été longtemps contestée. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas en dehors de la Chine. Même les dictateurs ne veulent plus renoncer à l’étiquette de la démocratie.
Si l’on parle aujourd’hui de crise de la démocratie, il s’agit de son érosion. Des millions de gens ont à bon droit le sentiment que la démocratie a disparu pour eux. Ils peuvent toujours élire ou même voter de temps en temps. Mais l’expérience montre que les résultats ne sont plus à la hauteur. Rien ne change, ou trop peu, suivant la volonté exprimée dans les urnes. La démocratie est en train de perdre son pouvoir.
Conséquence, selon le politologue allemand Herfried Münkler: «Dans certains cas, ce sont des groupes du peuple lui-même qui tournent le dos à la démocratie parce qu’ils sont mécontents de ses résultats, et n’ont pas la volonté d’assumer les charges et devoirs liés à sa sauvegarde (et à son développement?). (...) La crise de la démocratie résulte toujours d’une double menace: l’offensive de ceux qui veulent monopoliser le pouvoir, et le retrait de ceux qui veulent renoncer à leur engagement politique parce que c’est une charge à la longue.»
«En temps de crise, la seule chose sûre, c’est que la fin de cette situation est imminente», écrivait l’historien allemand Reinhard Kosellek (1923-2006) dans son étude «Critique et crise». Mais où est la certitude que l’actuelle crise de la démocratie soit sur le point de s’achever? Quelles décisions et développements faudrait-il pour cela?
J’en vois surtout deux: d’une part, la démocratie doit être portée à un niveau plus élevé. Après les échelons communal, régional et national le niveau transnational est requis, au moins pour le continent. C’est seulement à cette échelle que la démocratie est capable d’intervenir au profit des citoyens et citoyennes dans le marché transnational. En outre, la démocratie doit être étendue sur tous les plans. Autrement dit, il faut ajouter au droit de vote le droit des citoyens de proposer des projets de réformes passant par la révision de lois et de la Constitution. Cela permettrait aux femmes et aux hommes de se faire entendre dans la société, ce qui leur manque aujourd’hui à cause de la crise de la représentation - un élément de la crise de la démocratie -, pas seulement en France.
Ces deux perspectives de réformes apporteraient une contribution essentielle pour surmonter la crise de la démocratie. C’est certain. Mais est-ce que cela est réalisable? La question est ouverte. Car il faudrait des millions de personnes pour assumer les charges et devoirs nouveaux. Sont-elles prêtes à le faire? Même en 2019, cela reste incertain.
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Né en 1951 à Friedberg (Hesse), Herfried Münkler a étudié la philologie allemande, les sciences politiques et la philosophie à Francfort. Il a obtenu un doctorat et une agrégation à l’Université Goethe de la ville. Depuis 1992, il est professeur de théorie politique à l’Université Humboldt de Berlin. C’est l’un des intellectuels allemands les plus écoutés.
«
Il y a moins de 30 ans, la conviction régnait que la démocratie de type occidental - État de droit, pluralité des partis, société libérale - était l e modèle pour l’organisation politique de tous les pays du monde. (...) Cet espoir n’est plus d’actualité. La démocratie occidentale est en pleine crise. (...) La défense de l’État de droit démocratique commence par la lutte pour la notion de démocratie, car il ne reste de la marche triomphale de la démocratie annoncée il y a 30 ans, qu’avant tout l’attrait de la notion politique. (...) Soudain, on qualifie de démocratique ce qui est contraire au caractère démocratique de notre ordre politique. Les populistes de droite et de gauche ont (...) fait du mot 'démocratique' l’élément central d’une stratégie visant à introduire dans la démocratie des idées autoritaires contraires au pluralisme. Dans le discours populiste, le citoyen est remplacé comme élément central de la démocratie libérale par le peuple, présenté comme ethniquement et politiquement homogène.
»
Extrait d’un article de Herfried Münkler intitulé La démocratie n’existe qu’entière – ou pas du tout, publié le 27 décembre 2018 dans l’hebdomadaire Die Zeit, à Hambourg.
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