22 décembre 2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 101
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L'ignorance des droits sociaux
discrédite les droits humains
Il faut revenir sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont le 70e anniversaire a été célébré il y a deux semaines. D’autant plus que la majorité des Suisses a clairement soutenu les droits humains en rejetant fin novembre la dernière initiative de l’UDC. Les votants ont ainsi nettement repoussé la conception totalitaire que ce parti a de la démocratie. Pour l’UDC, une majorité de votants aurait le droit d’ignorer les droits fondamentaux des êtres humains, ce qui transformerait la démocratie en une tyrannie de la majorité. Ce danger préoccupait déjà Tocqueville en 1837.
Ce retour sur la Déclaration des droits de l’homme est nécessaire malgré le bon résultat de la votation parce que, dans la discussion, un aspect crucial concernant ces droits a été ignoré. Or c’est précisément là que sévit la crise, et pas seulement en Suisse. La démocratie, hors du canton du Jura, n’est pas considérée comme un droit de l’homme, mais comme un privilège national. Comme si une existence digne pouvait être conçue sans droits à participer au développement de la société dans laquelle on vit. Cet exemple concerne près de deux millions d’habitants en Suisse.
Après de grands progrès jusqu’au début des années 1990, le respect des droits humains est tombé dans le monde entier à un niveau qui aurait encore paru inconcevable il y a peu de temps. Selon Valentine Zuber, pour l’essentiel non à cause des critiques «classiques» envers des conceptions des droits de l’homme jugées trop «individualistes», trop «chrétiennes», quasi «religieuses» ou trop internationalistes. En réalité, des milliards d’êtres humains ont, à partir des années 1990, ressenti les droits humains comme éléments d’un projet de globalisation impérialiste néo-libéral. Mais dans le même temps, on a oublié la partie économiques et sociale des droits humains, qui assure le bien être des êtres humains.
L’historien américain du droit Samuel Moyn le dit ainsi: «Nous devons nous nous occuper des soucis économiques de la majorité des êtres humains si nous voulons qu’ils veillent à un meilleur traitement des minorités.» Quand la compréhension globale des droits de l’homme tombe, ses deux aspects en souffrent, le civil et le social. Conclusion de l’historien allemand Stefan-Ludwig Hoffmann, qui vit et enseigne en Californie: «Les droits de l’homme continueront d’être critiqués, et s’effaceront même du quotidien si nous ne parvenons pas à les ré-associer aux droits économiques et sociaux. Ces droits ne se peuvent se réaliser que dans un monde qui accorde les mêmes chances de vie à chacun.»
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Valentine Zuber, née en 1965 à Sainte-Colombe (Rhône), a étudié la géographie et l’histoire à la Sorbonne (Paris). Depuis 2014, elle est directrice à l’école pratique des hautes études, à Paris. Spécialiste de l’histoire des libertés religieuses, elle donne des cours sur les religions et les relations internationales.
«
La Déclaration universelle des droits de l’homme est un projet politique global qui fait de la dignité de l’être humain l’alpha et l’oméga du bon gouvernement. Inspirée par une philosophie libérale des droits de l’homme, elle dote chaque individu d’un droit à la citoyenneté (...) A ces droits civils et politiques s’ajoutent, et c’est la grande nouveauté de la Déclaration de 1948, des droits économiques et sociaux qui doivent permettre l’exercice effectif de la liberté civile et politique – le droit au travail, le droit de s’affilier à un syndicat, le droit à être protégé du chômage et le droit à une rémunération 'équitable et satisfaisante'. La Déclaration de 1948 a vocation à promouvoir les libertés individuelles et la dignité humaine sur toute la planète; elle a une prétention à l’universalité (...) et disqualifie moralement les gouvernements qui font de la raison d’État l’unique étalon de leur politique.
»
Extrait d’une interview de Valentine Zuber parue sous le titre La fin d’une utopie? dans Le Monde du 8 décembre 2018; dans la revue Le Débat, elle a publié cet automne un article détaillé sur les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sous-titré Un anniversaire en demi-teinte.
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