06.10.2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 91

Liberté et démocratie, conditions de la paix


L’ouvrage politique révolutionnaire de Baruch (Benoît) de Spinoza a paru au début de 1670, dans l’anonymat, sans nom d’auteur, et avec un lieu d’édition imaginaire, Hambourg au lieu d’Amsterdam. Le titre Traité théo­lo­gico-politique appelait un sous-titre plus clair, mentionnant «plusieurs dissertations où l’on fait voir que la liberté de philosopher non seulement est compatible avec le maintien de la piété et la paix de l’État, mais même qu’on ne peut la détruire sans détruire en même temps la paix de l’État et la piété elle-même.»

Sans surprise, l’œuvre de Spinoza a été ressentie par maints dignitaires laïcs et ecclésiastiques comme blasphématoire et «d’une insolence in­supportable», et de ce fait rapidement interdite. Car c’est un véritable appel à l’émancipation de l’homme envers tous les pouvoirs dominateurs, qui développe en même temps la théorie d’une existence libre à l’égard de l’État et de la société. Pour le philosophe bernois Urs Marti, c’est «l’un des plaidoyers les plus importants pour un État démocratique séculaire dans l’histoire de la pensée politique». Pour le philosophe britannique Jonathan Israel, Spinoza est à la source des Lumières radicales, dont le précurseur modéré Jean-Jacques Rousseau devait encore s’inspirer cent ans plus tard.

Spinoza a lutté pour la liberté de croyance et de pensée, conditions de la liberté intérieure d’un État. Il a aussi voulu la libération de la pensée phi­lo­sophique, encore prisonnière de la théologie, et l’abolition du pouvoir de l’église. Spinoza a livré une critique complète de la monarchie et de l’aristocratie, plaidant pour la démocratie, dans laquelle tous ont les mêmes droits et la même valeur, et sont soumis aux seules lois qu’ils se sont eux-mêmes données. Une énormité téméraire pour cette époque d’inégalité totale et de pouvoir absolu.

Dans ce contexte, Spinoza avait déjà à l’esprit des démocraties défi­ci­en­tes ou en déclin. Il songeait ainsi à celles qui tombent dans le chaos ou qui redeviennent presque des oligarchies. Il souligne cependant que les alternatives ne sont ni des «monarchies à la sécurité fictive» ni «l’aristo­cra­tie avec les inégalités structurelles», mais «de meilleures démocraties dans une société plus libre», les plus proches de ses vues.

Les sociétés et États libres développent aussi, d’après Spinoza, la «sa­gesse de rechercher la paix». Pour lui, la paix n’est pas seulement l’ab­sence de guerre, «c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bien­veillance, de confiance, de justice.» Le philosophe bâlois Hans Saner tire le bilan du cosmopolitisme de Spinoza: «La paix est le lien solide entre les sociétés libres.»

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Fils d’immigrés portugais d’origine juive séfarade, Baruch de Spinoza est né en 1632 à Amsterdam. Philosophe de grande influence, il est mort en 1677 à La Haye. Partisan de la liberté d’opinion et de parole, Spinoza est considéré comme révolutionnaire et promoteur principal des Lumières radicales aux Pays-Bas.

«
Il est de l’intérêt des gouvernements monarchistes de maintenir les gens dans l’illusion, et de dissimuler la peur où ils doivent être enfermés sous le beau nom de religion. (...) Une démocratie doit être définie comme la réunion générale de personnes ayant dans leur ensemble le droit le plus élevé possible. (...) Chacun transmet son droit à la majorité de la société entière, dont il fait lui-même partie, de sorte que tous se servent eux-mêmes. De cette manière, tous restent égaux. (...) L’État n’a pas
pour objectif de transformer les hommes d’êtres raisonnables en
animaux ou en automates, mais de faire en sorte que leur esprit
et leur corps puisse déployer ses forces sans danger. (...)
Le but véritable de l’État, c’est la liberté.
»

Tiré de l’un des deux principaux ouvrages de Baruch de Spinoza,
le traité politique Tractatus theologico-politicus (Traité théologico-politique). Le philosophe allemand Carl Gebhardt a qualifié
ce texte de «document le plus beau produit par la Hollande».


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