8 septembre 2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 89

La violence témoigne d’une dégradation
de la démocratie



La violence est l’antithèse de la démocratie. Qu’elle soit frontale ou plus subtile, la violence est une indication que quelque chose ne va pas dans la démocratie, que l’un ou plusieurs des éléments de cette mosaïque sont endommagés.

La violence dans toute sa brutalité s’est manifestée durant le dernier week-end du mois d’août, durant ce qui devait être la fête du 875e anni­versaire de la création de la ville de Chemnitz dans le Land de Saxe. Un Allemand d’origine cubaine âgé de 35 ans a été poignardé à mort par deux hommes, vraisemblablement des demandeurs d’asile. Aussitôt des groupes d’extrême droite se sont rassemblés sur le lieu du crime et l’ont instrumentalisé contre les réfugiés, les étrangers, les marginaux, la ma8 septembre 2018jo8 septembre 2018ri8 septembre 2018té parlementaire bourgeoise et enfin la chancelière Angela Merkel. Après le crime, ils étaient 800, le lendemain soir 6000 et le surlendemain plus de 10'000 extrémistes mobilisés dans les rues de Chemnitz, visant la police et poursuivant tous ceux qui avaient des têtes d’étrangers. Le peuple s’était transformé en meute. Selon un journaliste du Spiegel, «c’était une troupe de combat formée de néonazis, hooligans, membres de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) et de soi-disant citoyens inquiets, qui se sont mis à chasser les migrants».

C’est l’horreur. On organise des contre-manifestations sous le slogan &layquo;nous sommes plus nombreux». Lundi, 50'000 personnes par­ti­ci­pent à un concert en plein air. D’autres cherchent des explications. - C’était prévisible depuis 30 ans, analyse un pasteur engagé de Leipzig: la pensée d’extrême droite s’ancre systématiquement dans les têtes, avec le mépris de la démocratie, la haine des étrangers et la négation des droits fondamentaux, sans réaction de la part des politiques, et cela aboutit à la création de nouveaux groupes d’extrême droite et de néo­na­zis prêts à en découdre. Mais les racines historiques sont plus profondes. Du temps de la RDA, entre 1949 et 1989, on a compté quelque 8600 délits de propagande et de violences néonazies, racistes et antisémites, avec au moins dix personnes tuées sans que les responsables soient jugés.

Le politologue de Dresde Hans Vorländer amène une autre explication: le mécontentement à la fois profond et ambivalent de la société de Saxe. «Il y a en Saxe une manière spécifique de se voir en victime. Les racines se trouvent dans le mythe des innocents disparus avec la belle ville baroque de Dresde sous les bombes américano-britanniques.» Les nazis ont en­tre­tenu ce mythe, puis le régime de la RDA. Puis est venu le tournant de 1989, avec une «nouvelle invasion d’étrangers», «l’affront» porté par les gens de l’Ouest, qui croyaient tout mieux savoir. Ce sentiment s’est ré­pan­du dans tout le Land de Saxe. «Il y a finalement un troisième affront: l’arrivée de milliers de migrants musulmans en 2015, pris par bien des habitants de Saxe comme une 'nouvelle invasion d’étrangers'». Selon le magazine Der Spiegel, «de nombreux Allemands de l’Est se sont sentis doublement trahis par la chancelière est-allemande Angela Merkel: elle n’a jamais été l’avocate de l’Est et tout à coup, durant la crise des ré­fu­giés, elle a ouvert son cœur à des personnes qui ne parlaient pas un mot d’allemand».

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Markus Feldenkirchen est né en 1975 à Bergisch Gladbach, en Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Il a étudié l’histoire et les sciences politiques à Bonn et à l’Université de New York. Il est aujourd’hui journaliste et écrivain à Berlin. C’est l’un des grands auteurs du Spiegel, le magazine d’actualités le plus important d’Allemagne.

«
Chemnitz marque un tournant. La chasse aux étrangers, l’occupation sans aucune gêne de la rue par les néonazis et leurs sympathisants a suscité une ambiance de pogrom tandis que la police restait spectatrice. Tout cela est une conséquence d’un retour rampant au passé des chemises brunes. Il peut y avoir des raisons historiques et culturelles qui expliquent pourquoi l’idéologie de l’extrême droite tombe sur un sol fertile en Saxe. Mais la renaissance des chemises brunes n’est pas un phénomène limité à la Saxe. Chemnitz se répand partout. Cela marque aussi l’échec des classes moyennes. Les uns parce qu’ils ont cessé d’être des citoyens actifs. Certains ont cru que la démocratie s’imposait de soi et n’avait pas besoin d’être défendue. Elle est jugée ringarde, tandis que l’on se retire dans son confort personnel. Une autre partie des conservateurs a aussi aboli la distance qui prévalait avec les milieux de l’extrême droite. Il faut sortir de cette léthargie. (...) Erich Kästner l’avait dit, il aurait fallu combattre les nazis dès 1928, au moment où se produisait une éruption de haine comme on le voit maintenant à Chemnitz, mais que l’on avait minimisée: «Il ne faut pas attendre que la boule de neige devienne une avalanche. Il faut arrêter la boule.
Si on laisse venir l’avalanche, on ne l’arrêtera plus
et elle détruira tout sur son passage».
»

Tiré de l’article de Markus Feldenkirchen Après Chemnitz,
les débordements des néonazis doivent réveiller les politiques
et les citoyens
, dans Der Spiegel du 1er septembre 2018.


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