14.7.2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 82

La démocratie peut-elle résister
au capitalisme globalisé?



La thèse prétendant que la démocratie et le capitalisme sont des parte­naires naturels est un mythe aux yeux du scientifique et écrivain nord-américain Robert Kuttner. Les deux systèmes ne se seraient bien accor­dés que tant que la démocratie a été en mesure de maîtriser le capitalisme.

Aujourd’hui, le capitalisme fonctionne globalement et s’est soustrait à l’action de la démocratie, confinée au niveau national. Les marchés glo­baux ne se laissent plus non plus former, limiter ou civiliser autrement par les majorités nationales. Ils fonctionnent sans égards pour les besoins de millions de gens. Et les sociétés ne peuvent plus maintenir le contrat so­ci­al qui a permis dans les décennies passées la paix sociale et la pro­spéri­té croissante du plus grand nombre. Conclusion de Robert Kuttner dans son dernier livre, paru en avril: «La démocratie ne peut pas survivre ainsi au capitalisme global. Sans intervention particulière de notre part, elle va se briser contre lui.»

Robert Kuttner cherche à montrer pourquoi la montée en puissance mon­di­ale des droites nationalistes pendant les dix dernières années résulte de la disparition du contrat social qui a si bien servi les habitants des dé­mo­cra­ties occidentales pendant trois décennies. Kuttner explique pour l’essentiel cette relation par quatre phénomènes.

D’abord, les 30 ans qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont été se­lon lui une période extraordinaire dans l’histoire du capitalisme. Pour la première fois, le pouvoir se trouvait aux mains de gouvernements dé­mo­cra­ti­ques et des partenaires sociaux. En même temps, le capitalisme et le monde financier étaient dans une économie mixte, sous contrôle so­cial. C’était la leçon tirée d’une guerre mondiale catastrophique, résultant elle aussi du capitalisme effréné.

En second lieu, les élites économiques et politiques auraient utilisé les turbulences des années 1970 pour affaiblir les contrôles démocratiques de l’économie, et la globalisation économique comme prétexte à sa sé­pa­ration du cadre défini par la démocratie.

Troisièmement, Kuttner souligne le caractère antidémocratique de la glo­balisation en cours. La libération de capital, biens et services ainsi que la forme actuelle des contrats commerciaux entravent les capacités des gouvernements nationaux à donner une forme socialement acceptable au capitalisme, en Suisse on parlerait de mesures d’accompagnement toujours plus difficiles à adopter. Par conséquent, le dégoût de beaucoup de gens augmente face aux effets de cette globalisation, si bien qu’ils élisent des nationalistes et des xénophobes.

En quatrième lieu, la plupart des leaders sociaux-démocrates (Clinton, Blair, Schröder) auraient échoué entre 1990 et 2010, auraient succombé au fétichisme néolibéral du marché et n’auraient plus été en mesure de répondre à nouveau aux besoins des gens simples, déçus et frustrés, qui se sont alors tournés vers les droites nationalistes.

Conséquence, selon Kuttner: «Aujourd’hui en Occident, des millions de personnes sont fâchées de s’être fait voler leur belle vie. (...) Leur colère est confuse et chaotique – mais elle renforce la droite vulgaire.» En con­sé­quence, Kuttner souligne que la démocratie n’est plus actuellement menacée de l’extérieur mais est aujourd’hui remise en cause de l’inté­rieur. Par les effets d’un marché échappant à la maîtrise démocratique, qui agit en réduisant les perspectives vitales de la majorité des gens, c’est-à-dire avec violence.

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Robert Kuttner, est né en 1943 à New York, où il a passé sa jeunesse.
Il a ensuite étudié les sciences économiques en Californie et à Londres, puis travaillé comme journaliste pour les grands journaux américains.
En 1990, il a été l’un des fondateurs du journal progressiste The American Prospect, dont il est toujours rédacteur en chef. Il est en outre professeur de politique sociale à l’Université Brandeis, près de Boston.

«
Pour moi, la question porte sur la relation tendue entre un capitalisme socialement supportable et une démocratie solide. Quand l’équilibre joue entre eux, la puissance démocratique atténue les forces du marché pour le bien commun et accroît ainsi la légitimité démocratique (...) Aujourd’hui, nous avons un capitalisme global mais pas de démocratie globale. (...) Les fruits de cent ans de combats démocratiques en faveur de dispositions protégeant les ouvriers sont balayés. (...) L’argent devient plus puissant que la démocratie. Elle perd sa base, les gens déçus s’en détournent. (...) Des forces d’extrême droite s’emparent de fonctions gouvernementales.
»

Extraits du dernier livre de Kuttner, La démocratie peut-elle survivre au capitalisme global?, publié le printemps passé par les éditions Norton, New York et Londres. Cet ouvrage n’a pas encore été traduit en français.


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