2 juin 2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 78

Les droits de l’homme émanent
d’un grand renouveau de la pensée



Treize ans après être parvenu à formuler la base des droits de l’homme dans la Déclaration d’indépendance américaine de 1776, Thomas Jef­fer­son se trouvait à Paris comme ministre des affaires étrangères du pre­mier président des États-Unis George Washington. C’était en janvier 1789, et le général Lafayette, ami de Jefferson depuis la guerre d’indé­pendance, réfléchissait également à la rédaction d’une déclaration des droits des Français. Tout laisse penser que Jefferson l’a secondé en s’inspirant de ses propres tournures vieilles de treize ans.

Quand les Parisiens, le 14 juillet 1789, ont pris la Bastille, amorçant vrai­ment la Révolution française, beaucoup ont réclamé une telle déclaration. Mais, en dépit des efforts de Lafayette, il n’existait pas de projet prêt à l’emploi. C’est pourquoi la nouvelle Assemblée nationale française a entamé le 20 août la discussion de 24 articles déjà ébauchés par une commission de 40 membres. Après dix jours de débats tumultueux et d’innombrables amendements, les parlementaires n’avaient mis au point que 17 articles. Mais ils étaient complètement épuisés. En outre, ils se trouvaient sous la forte pression de conflits avec d’autres puissances. Ils ont donc décidé le 26 août de mettre un terme aux débats et de se con­tenter de 17 articles pour solennellement approuver la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Pour l’historienne américaine Lynn Hunt, les auteurs ont réussi malgré la hâte, la pression et la fatigue un manifeste étonnamment simple, cohé­rent et convaincant: «Il énonçait les droits 'naturels, inaliénables et même sacrés des hommes' comme base de tout gouvernement futur. La sou­ve­raineté appartenait au peuple et non plus au roi, déclarait tous égaux de­vant la loi, ouvrait ainsi tous les postes aux personnes de talents et méri­tes, abolissant par là tous les privilèges de la naissance.» Et ce qui a en­core plus surpris, d’après Lynn Hunt: la déclaration avait une portée uni­ver­selle. Il était partout question de tous les hommes, tous les citoyens, on ne se bornait jamais à parler des Français ou de spécificités natio­na­les.

La déclaration des droits de l’homme française devait valoir pendant 200 ans pour la promesse de droits humains universellement valables, com­me ils ont pu être établis en 1948, après les catastrophes du XXe siècle et la création de l’ONU, en tant que Déclaration universelle des droits de l’homme. Il a fallu encore plus que 200 ans d’efforts et de discussions pour que, parmi les hommes aux droits égaux disposant des droits fonda­mentaux inaliénables, tous soient vraiment compris et admis, en incluant donc aussi les gens de couleur, les femmes, les étrangers, les réfugiés, les handicapés, les personnes de religions différentes ou encore les pauvres.

Finalement, Lynn Hunt tient à souligner que toutes ces déclarations des droits de l’homme n’auraient pas été possibles pour légitimer une nou­vel­le forme d’organisation sociétale sans une sorte de révolution culturelle qui s’est développée dans la première moitié du XVIIIe siècle de part et d’autre de l’Atlantique. Influencés par beaucoup de romans et de dis­cus­sions critiques, les gens ont commencé à ressentir de l’empathie les uns pour les autres, à se reconnaître eux-mêmes dans des victimes et tor­tu­rés, et à exiger un traitement humain de la part des puissants. Hunt: «Toute transformation historique repose sur des pensées et sentiments individuels différents. Pour faire admettre les droits de l’homme comme évidents, les gens simples doivent s’être pénétrés de nouvelles con­cep­tions d’eux-mêmes et du monde, ainsi que de sensations et sentiments nouveaux, qu’ils n’avaient pas connus auparavant.»

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Lynn Hunt, née en 1945 à Panama City, a grandi dans le Minnesota et étudié l’histoire à Stanford. Dès 1974, elle a enseigné l’histoire culturelle de l’Europe aux universités de Berkeley et Pennsylvanie. Depuis 1999, elle est professeur d’histoire européenne à l’Université de Californie
de Los Angeles, et met l’accent sur la Révolution française.

«
Les grandes choses surgissent souvent sous la pression.
Ainsi, les écrivains améliorent leurs projets de textes en les corrigeant sans cesse. Comme Thomas Jefferson, lorsqu’il a, à la mi-juin 1776, débarrassé ses premiers projets de déclaration d’indépendance des colonies américaines de répétitions et d’expressions rocailleuses pour trouver la formule devenue classique: «Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous naissent égaux et sont dotés de certains droits inaliénables par le Seigneur, dont le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit d’aspirer au bonheur». Par cette phrase, Jefferson a transformé une supplique classique du XVIIIe siècle, marquée par les épreuves de la souffrance, en une déclaration durable des droits de l’homme.
»

Tiré de l’introduction de Lynn Hunt à L’invention des droits de l’homme (en anglais, New York 2007), ouvrage non traduit en français.


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