24.03.2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 68

Retrouvons le libertaire!


À propos de l’initiative populaire contre la Radio et Télévision publique (RTS), balayée par le peuple voici trois semaines, un terme est soudain réapparu: libertaire - un mot dont tout le monde parlait il y a 150 ans dans le Jura. L’Aargovien Olivier Kessler, l’un des meneurs de l’initiative, pré­ten­dait à ce titre. À l’exception de la police et de l’armée, il veut suppri­mer toutes les prestations émanant de l’état et les abandonner au mar­ché. L’individu isolé doit tout seul pouvoir tout faire mieux. Kessler nie toute responsabilité sociale: «Je défends un seul droit humain, celui d’être laissé tranquille.» Le libertaire est-il donc égoïste, égocentrique? Alors plutôt liber-ego antisocial que libertaire?

Joseph Déjacque (1821-1865), ouvrier-poète de Paris, a été le premier à utiliser le mot libertaire dans une lettre ouverte au révolutionnaire miso­gy­ne Pierre-Joseph Proudhon, expédiée en 1857 de la Nouvelle-Orléans (USA). Il a ensuite publié durant trois ans à New York un journal anar­chis­te du même nom. Déjacque se retournerait sans doute dans sa tom­be s’il pouvait réaliser l’insensibilité de Kessler. Pour lui, un libertaire de­vait faire la révolution pour renverser toute autorité, pour mettre fin à tout pouvoir de l’homme sur les autres. Mais Déjacque pensait que la révo­lu­tion n’allait pas sans finalité sociale, faute de quoi on remplacerait un crime par un autre.

Pour Déjacque, la liberté doit toujours être comprise comme solidaire. La vie sociale serait fraternelle, marquée par l’action commune de la liberté et de l’égalité sur la fiche de l’humanité, a-t-il écrit. «Plus l’homme a le sens de la liberté, plus il en a pour la dignité (...) et le respect des aut­res». Le libertaire veut donc la liberté pour tous, pas seulement pour lui.

Après 1865 les ouvriers horlogers jurassiens ont aussi adopté cette con­ception sociale de l’idéal libertaire. Travaillant à Boncourt, Porrentruy, Le Locle, Neuchâtel, Courtelary ou Moutier, ils se sont organisés au sein de la Fédération jurassienne. Ce mouvement libertaire a été fondé le 12 no­vembre 1871 à l’Hôtel de la Balance de Sonvilier, autour notamment de James Guillaume, Albert Spichiger et Adhémar Schwitzguébel, et a af­fir­mé: «La société future ne doit rien être d’autre que l’universalisation de l’organisation que l’Internationale se sera donnée. Nous devons donc avoir soin de rapprocher le plus possible cette organisation de notre idé­al. Comment voudrait-on qu’une société égalitaire et libre sorte d’une or­ganisation autoritaire? C’est impossible. L’Internationale, embryon de la future société humaine, est tenue d’être, dès maintenant, l’image de nos principes de liberté et de fédération, et de rejeter de son sein tout prin­cipe tendant à l’autorité, à la dictature.»

Le projet libertaire correspond à une exigence et à une conception op­po­sée à celle de l’égocentrique narcissique Kessler. Les horlogers juras­siens ont ainsi concrétisé l’utopie de Joseph Déjacque: il ne s’agissait pas de rêver à un bonheur lointain, mais d’anticiper un avenir meilleur en mobilisant toutes les énergies pour atteindre ensemble un but libertaire et social.

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Joseph Déjacque (1821-1865) était un militant et ouvrier-poète anarchiste de Paris. Après avoir assisté à l’insurrection de juin 1848,
il a été emprisonné, puis s’est exilé. Entre 1858 et 1861, il a publié à
New York 27 numéros du Libertaire, Journal du mouvement social. Rentré en France après l’amnistie de 1861, il est mort, fou de misère, selon son ami Gustave Lefrançais.

«
Anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire, (..) vous criez contre
les hauts barons du capital, et vous voulez réédifier la haute baronnie du mâle sur la vassale femelle ; (...) arrivez-en à la communauté anarchique, c’est-à-dire l’état social ou chacun serait libre de produire et de consommer à volonté et selon sa fantaisie, sans avoir de contrôle à exercer ou a subir de qui que ce soit ou sur qui que ce soit; où la balance entre la production et la consommation s’établirait naturellement, non plus par la détention préventive et arbitraire aux mains des uns ou des autres, mais par la libre circulation des forces et des besoins de chacun.
»

Extrait de la lettre De l’être-humain mâle et femelle de Joseph Déjacque à Pierre-Joseph Proudhon, publiée en 1857 à La Nouvelle-Orléans. Le terme libertaire y apparaît pour la première fois au monde. Texte intégral: http://joseph.dejacque.free.fr/ecrits/lettreapjp.htm.


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