3. Feb. 2018

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 61

Echange transatlantique
d’expériences démocratiques



En janvier 1894, la rédaction du journal socialiste zurichois Arbeiter­stim­me (Voix des ouvriers), qui n’existe plus aujourd’hui, a reçu une lettre surprenante de Portland, la plus grande ville de l’État d’Oregon, au nord-ouest des États Unis. Son auteur était un artisan zurichois, Rolf Boss­hard, qui venait d’émigrer à Portland. Il avait été témoin, racontait-il, «d’un fort mouvement populaire pour l’inscription du droit d’initiative et de référendum dans la constitution de l’Oregon, au bord de l’Océan Pacifi­que», et il voulait aider ce mouvement. Bosshard demandait donc à la rédaction des documents du mouvement démocratique qui avait pour­suivi les mêmes buts avec grand succès 25 ans plus tôt dans le canton de Zurich. Le rédacteur Robert Seidel a évidemment donné suite aussitôt à la demande, et envoyé un matériel abondant par la poste à Portland, presqu’à l’autre bout du monde. Non sans noter dans la Arbeiterstimme sa joie de voir «l’excellente idée de la législation directe par le peuple conquérir le monde».

Effectivement, les mouvements populaires et progressistes américains ont provoqué des réformes jusqu’en 1914 dans 19 États des États-Unis, surtout dans l’Ouest: la démocratie indirecte y a été complétée par les droits populaires. Au contraire de la Suisse, l’initiative populaire évite dans la plupart des cas les parlements, et passe en votation sans re­commandation de leur part. Les mouvements populaires rebelles avaient des causes assez semblables aux États-Unis et à Zurich. Citons le juriste de l’environnement J.N. Teal, d’Oregon, où la première initiative populaire de l’histoire américaine a été soumise au vote en 1904: «Des parlements complices et contrôlés par de puissantes entreprises, c’était plutôt la règle que l’exception. Les citoyens étaient donc lassés d’une législation complaisante; gouvernements et parlements ne devaient pas rester plus ouverts aux puissants intérêts particuliers qu’aux besoins généraux. Ainsi, les gens ont réclamé des instruments capables de donner plus de poids et d’audience à leurs revendications.»

Depuis lors, le droit d’initiative populaire et de référendum facultatif a été introduit dans 24 des 50 États américains, mais, contrairement à la Suisse, pas au niveau fédéral. Dans trois États - Californie, Oregon et Colorado - le recours à la démocratie directe est même plus intensif qu’en Suisse. Paradoxalement, là aussi de puissantes institutions et groupes de pression, déjà très influents au parlement, se sont emparés de l’instrument des citoyens et citoyennes. Aux États-Unis, le processus de l’initiative est plus rapide, industrialisé, conflictuel, intense en capital et, hélas, aussi superficiel. En général, les citoyennes et citoyens ne peuvent voter que tous les deux ans, le jour des élections. Cela donne parfois plus de dix objets de votation à la fois, ce qui réduit fortement les discussions politiques, d’autant plus que la publicité télévisée a une importance énorme et les journaux sont encore moins lus qu’en Suisse. Bilan de l’expert Todd Donovan, de l’Université d’État de Washington: «Malgré les nombreux problèmes, l’influence de la démocratie directe est grande dans bien des États américains, et la grande majorité de leurs citoyens et citoyennes ne voudraient pas s’en passer.» Rolf Bosshard serait fier de son engagement, s’il pouvait constater comment les Orégonais soutiennent ce qu’il a aidé introduire il y a plus de cent ans.

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John Brautigam né en 1960 dans le Wisconsin, études de droit
à Stanford, procureur suppléant, puis représentant démocrate du Maine de 2004 à 2008. Il conseille aujourd’hui les citoyens qui veulent lancer des initiatives populaires progressives.

«
L’un des obstacles à la démocratie directe tient peut-être à ce qu’elle exige de nous citoyens. Chaque objet de votation exige de nous d’être informés, d’étudier le sujet, et de nous former une opinion. Pourtant cela nous rappelle que nous, citoyens et citoyennes, sommes le pouvoir supérieur de l’État. Nous décidons comment nous voulons vivre. Nous ne pouvons pas laisser cela à ceux que nous avons élus. Certains prétendent que la démocratie directe est devenue incontrôlable. Peut-être seulement pour l’establishment. Pour beaucoup de citoyens et citoyennes, elle est juste comme elle doit être.
»

Conclusion de l’article de John Brautigam Les initiatives populaires mettent le pouvoir dans les bonnes mains, paru le 19 janvier 2018 dans Kennebec Journal, quotidien publié à Augusta, capitale du Maine,
à l’extrême nord-est des États Unies (www.centralmaine.com).


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