23. Dez. 2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 56
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Le début de la fin?
Imaginez l’élection d’une femme socialiste au Conseil des États dans le canton de Schwytz ou d’Appenzell Rhodes intérieures. Cet improbable cas de figure illustre la surprise qui a eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi en Alabama, l’un des États sudistes les plus conservateurs, pauvres et déconcertants des États-Unis.
Le perdant n’y est pas seulement un juge religieux fondamentaliste qui croyait pouvoir transformer en siège républicain au Sénat la popularité que lui a valu son opposition à la reconnaissance du mariage homosexuel. Le perdant est d’abord le président américain, qui avait encore soutenu massivement ce juge le soir précédent l’élection, en assénant ses formules cyniques, sexistes, racistes et ses demi-vérités. Ce président n’est pas encore au pouvoir depuis un an et déjà la majorité des électeurs d’un État où il avait recueilli l’an dernier près de deux tiers des voix ont dit: cela suffit, nous en avons assez, nous voulons plus de «respect et dignité», comme l’a déclaré le nouveau sénateur Doug Jones.
La géographie politique de l’Alabama dépend de la couleur de la peau des votants. Cet État sudiste, touchant le Golfe du Mexique, et trois fois plus grand que la Suisse, est traversé par une ceinture noire. Celle-ci a été formée par les grandes zones où les plantations de coton ont été créées au XIXe siècle. Les Noirs, qui constituaient l’essentiel de la main d’œuvre, dominent toujours cette région. Près d’un tiers des Noirs d’Alabama vivent dans cette ceinture, à laquelle appartiennent aussi la capitale Montgomery et la ville de Selma, ainsi que plus au nord Birmingham, la plus grande ville de l’État, et Huntsville, où l’agence spatiale NASA développe des missiles.
C’est avant tout la participation électorale supérieure à la moyenne de ces Noirs d’Alabama qui a permis la victoire des démocrates. Ceux-ci ont effectué un million d’appels téléphoniques et 200 000 visites à domicile. Les Afro-Américains se s’étaient plus rendus aux urnes en si grand nombre depuis l’époque de Barack Obama. Ils ont voté à 96 % pour le démocrate Doug Jones – même Obama n’avait obtenu ‘que’ 95 % de leurs votes. Auprès des Blancs, Doug Jones a même fait deux fois mieux qu’Obama il y a cinq et neuf ans. Ici aussi, la mobilisation spéciale des femmes blanches a été déterminante: 58 % d’entre elles se sont prononcées contre le républicain Roy Moore. Ce dernier a cru pouvoir ignorer les nombreuses femmes qui lui avaient reproché des abus sexuels au temps où elles étaient encore mineures. Pourtant, 56 % des hommes blancs ont voté pour Moore, la moitié en écartant apparemment ces accusations comme de fausses nouvelles, à l’exemple de leur président et de la grande majorité des très nombreux chrétiens évangéliques d’Alabama.
Le républicain Moore voulait transposer à Washington des valeurs traditionnelles de l’Alabama, c’est-à-dire la vanité, la misogynie et la xénophobie blanche, le fondamentalisme et le racisme évangéliques. Sa défaite montre que ces valeurs ne sont plus celles de l’Alabama actuel. Espérons que le New-Yorkais de la Maison Blanche aura compris le message. Même en Appenzell la majorité serait soulagée.
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Martin Luther King (1929-1968), pasteur noir, célèbre militant des droits civiques des États-Unis. Il est né à Atlanta (Géorgie) et a travaillé dès 1954 en Alabama. Ses actions de résistance pacifique à la ségrégation raciale, notamment dans les villes de Birmingham, Montgomery et Selma (Alabama), lui ont valu le prix Nobel de la paix en 1964.
«
Je suis à Birmingham parce que l’injustice s’y trouve. Je ne peux pas vivre les bras croisés à Atlanta comme si ce qui se passe à Birmingham ne me préoccupait pas. Une injustice, où qu’elle se produise, est une menace pour la justice partout ailleurs. (...) Je rêve qu’un jour, même en Alabama, avec ses abominables racistes, avec son gouverneur qui veut ignorer les droits civiques et empêcher les écoliers noirs de fréquenter l’école commune - que là même en Alabama, un jour les petits garçons noirs et les petites filles blanches pourront se donner la main comme frères et sœurs.
»
Tiré de deux citations de Martin Luther King datant de 1963, sa lettre de la prison de Birmingham (avril) et son discours au mémorial Lincoln de Washington (fin août) devant plus de cent mille manifestants (www.encyclopediaofalabama.org).
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