11.11.2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 51
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La démocratie peut être délivrée
de l’oligarchie financière
Comme la Suisse, 26 des 50 États américains connaissent la démocratie directe. L’un de ces États est le Maine, à l’extrémité nord-est des États-Unis. Il est plus de deux fois plus grand que la Suisse, mais sa population de 1,3 millions d’habitants ne dépasse guère celle du canton de Zurich.
L’argent constitue une menace pour la démocratie directe et indirecte, en Suisse comme dans le Maine. Plus exactement, l’argent que de riches particuliers et groupes de pression peuvent investir sans limite pour peser sur l’opinion avant les élections et votations. Ils s’en servent pour détruire l’égalité des chances, empêcher une concurrence loyale et soumettre certains parlementaires à leurs intérêts. Dans le Maine, la majorité des citoyens étaient encore convaincus au début des années 1990 que des lobbyistes faisaient le tour du Parlement avec leur chéquier avant les votes.
La plupart des habitants du Maine en ont vu les conséquences le 10 octobre 1993: un chauffeur endormi a percuté avec son poids lourd une voiture dont les quatre jeunes occupants ont été tués. Le plafonnement de la durée de conduite journalière autorisée aurait pu empêcher l’assoupissement du chauffeur et la mort des quatre jeunes. Mais le lobby des camionneurs s’est opposé, même après l’accident, et a réussi à empêcher l’élaboration de limitations légales.
En 1995, un groupe de citoyens engagés dans des mouvements écologistes, des syndicats et des organisations chrétiennes a refusé que cette situation se prolonge. Ils ont lancé une initiative populaire proposant une loi assurant une chance aux candidats à une élection même sans le soutien de bailleurs de fonds. La loi «pour des élections propres» stipulait que chacun aurait droit à des fonds électoraux publics s’il trouvait 150 citoyens prêts à lui donner cinq dollars pour sa candidature. Personne ou presque ne donnait une chance à cette initiative. Á l’époque dans le Maine comme aujourd’hui dans quasiment toute la Suisse, il semblait tabou que l’État investisse de l’argent public pour des élections loyales et des votations saines.
Mais des milliers de citoyens engagés ont fait du porte à porte pour dissiper ces doutes. En novembre 1996, l’initiative a été approuvée avec 12 % de voix d’avance. Dix ans plus tard, 81 % des candidats utilisaient déjà les fonds publics lors des élections, renonçant à toute autre contribution. Et soudain, des lois favorisant le bien commun en matière d’environnement ou de santé ont été adoptées par le Parlement, où elles échouaient jusque-là sous le poids des lobbyistes.
Certes, une décision de la Cour suprême a remis en cause la loi «pour des élections propres» en 2011. Mais les instigateurs sont revenus à la charge avec une nouvelle initiative compatible avec la nouvelle interprétation de la Constitution fédérale. Elle comprenait aussi des exigences de transparence et un complément permettant à l’État de donner un coup de pouce lorsque les opposants peuvent lever trop d’argent privé.
Cette deuxième initiative a aussi été approuvée dans le Maine en novembre 2015. Aujourd’hui, 13 États américains ont des lois similaires. Quand pourrons-nous annoncer qu’un canton suisse suit enfin ce mouvement pour des élections propres?
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Jane Mayer est une historienne de New York âgée de 62 ans. Elle travaille depuis 1995 comme journaliste pour la revue très respectée The New Yorker:
«
La décision de la Cour Suprême en réponse à une plainte de Citizens United, en 2010, et les décrets qui en ont découlé, a grosso modo autorisé les Américains les plus fortunés à dépenser autant qu’ils le souhaitent durant les élections et votations. Il reste quelques restrictions mineures, comme une feuille de vigne sur une vérité déplaisante: le fait que notre démocratie se transforme en oligarchie.
»
Jane Mayer dans Libération du 21 décembre 2016 sur son nouveau livre Dark Money, the Hidden History of the Billionaires Behind the Rise of the Radical Right (L’argent sombre, l’histoire cachée des milliardaires derrière le montée de la droite dure), New York, 2016.
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