04. Nov. 2017
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 50
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L’effet décisif de révisions de lois électorales
Le droit de vote personnel est universel et constitue un élément de base dans la mosaïque de toute démocratie. «C’est le droit élémentaire de chacun et chacune, sans lequel tout le reste n’a presque pas de valeur, car il offre à chacun et chacune la possibilité d’agir sur son propre destin», a dit le président américain Lyndon Johnson quand il a signé en 1965 le Voting Rights Act, la loi fédérale la plus rigoureuse et la plus efficace de tous les temps, selon l’opinion actuelle. Grâce à cette loi, environ six millions de citoyennes et citoyens noirs des États-Unis ont enfin pu faire usage du droit de vote qui leur avait été accordé en 1866 après la Guerre de sécession, mais que beaucoup d’États du Sud entravaient toujours gravement. Depuis sept ans, quelques États américains à majorité républicaine, comme le Wisconsin, se mettent pourtant de nouveau à trafiquer les droits civiques, ce qui a déjà eu des conséquences dramatiques en 2016.
Ainsi, Andrea Anthony, citoyenne noire de 37 ans, a, comme avant chaque élection, pris le 8 novembre 2016 le chemin de son bureau électoral, dans le quartier noir du Nord de Milwaukee, ancienne ville ouvrière de l’État du Wisconsin, au bord du lac Michigan. Elle voulait donner sa voix à Hillary Clinton. Elle avait perdu son permis de conduire quelques jours avant, mais elle avait avec elle son certificat de domicile et une pièce d’identité (ID) périmée du Wisconsin. Un employé du bureau électoral a confirmé qu’elle était inscrite comme électrice. Mais c’était la première élection importante dans le Wisconsin où même les électeurs inscrits n’étaient admis à voter que sur présentation d’un permis de conduire, d’un passeport ou d’une ID de l’État ou de l’armée avec photo. Andrea Anthony n’ayant pas pu présenter un de ces documents, elle n’a pas été autorisée à voter. Certes, il lui restait 72 heures pour aller au Contrôle des véhicules à moteur, puis à la Chancellerie municipale, et pouvoir tout de même voter après coup avec une ID. Elle n’en a toutefois pas eu le temps, car elle devait aller travailler, puis s’occuper de ses cinq enfants après la fermeture de l’entreprise.
Donald Trump a gagné le Wisconsin avec 23'000 voix d’avance. Le taux de participation avait diminué de 3,3 %. La ville de Milwaukee compte à elle seule les deux tiers des Noirs de l’État, dont un tiers vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Dans la ville Madame Clinton a gagné avec 77 % des voix, contre 18 % pour Trump. Mais l’on y a compté 41'000 votants de moins qu’en 2012. La participation est restée stable dans les quartiers à majorité blanche, mais elle s’est effondrée chez les Noirs. Selon des enquêtes ultérieures, 11 % d’entre eux n’ont pas pu voter parce qu’ils n’avaient pas d’ID avec photo. Selon une extrapolation portant sur l’État entier, cela correspond à 45'000 voix - juste deux fois l’avance de Trump.
Dans les 13 États fédéraux où les restrictions civiques étaient déjà applicables en 2016, le taux de participation a diminué de 1,7 %, alors qu’il a augmenté de 1,3 % dans le reste du pays. Selon certaines estimations, environ un million de citoyens ont été bloqués par de nouvelles barrières électorales. C’est dramatique, car seule une différence de 73'000 voix dans trois États - Michigan, Pennsylvanie et Wisconsin - a fait pencher la balance en faveur de Trump. Bilan d’Ari Berman, journaliste d’investigation qui a rassemblé ces informations pour le vieux magazine progressiste Mother Jones: «Il est très probable que la modification de loi rendant l’ID à photo obligatoire dans le Wisconsin a empêché assez de personnes de participer aux élections présidentielles pour que la décision y soit tombée.»
[Remarque: Malgré tous ces obstacles, Hillary Clinton (65'853'516 ou 48,18 %) a reçu 2'868'691 voix de plus que Donald Trump (62'984'825 ou 46,09 %).]
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Nancy MacLean, née en 1959, historienne américaine. Spécialiste de l’histoire des États-Unis au XXe siècle, elle enseigne à l’Université Duke, à Durham (Caroline du Nord).
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Après l’élection du premier président noir des États-Unis, certains racistes ont répandu la théorie absurde selon laquelle cela n’aurait été possible qu’au moyen d’une fraude électorale massive. Pour cette raison, plus de 180 projets de lois ont été déposés dans 41 États entre 2010 et 2012 dans le but d’entraver la participation aux élections. Ces mesures visaient avant tout à; réduire l’influence politique des gens les plus pauvres et jeunes, dont la majorité vote plutôt à gauche. Si moins de gens votent, estimaient ces républicains, il sera plus facile d’imposer nos propres vues et nos propres gens.
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Tiré du dernier livre de Nancy MacLean, Democracy in chains (La démocratie enchaînée), éd. Viking, New York 2017.
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