17. Juni 2017

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 32

Didier Burkhalter s’est-il heurté
à un défaut du système?



Le système politique devrait servir la société qui l’a mis en place. Autre­ment dit, il devrait lui permettre de résoudre pacifiquement les problèmes qui se posent dans l’intérêt de la majorité des citoyennes et citoyens. Les institutions doivent fonctionner de façon à ce que les conflits nécessaires dans une société libre puissent se régler sans violence et à l’avantage des gens. Le politologue américain David Easton a défini le système po­li­tique comme «l’ensemble des institutions, procédures et acteurs qui produisent des décisions contraignantes pour la société».

J’étais en train de me demander si les élections française et britannique avaient exprimé des déficits et besoins de réforme quand la radio a an­non­cé la démission surprenante du conseiller fédéral Didier Burkhalter, ministre des affaires étrangères. Les auditeurs de l’entretien très ouvert mené avec lui pendant 15 minutes dans Forum (RTS), ont pu déduire de sa formulation des raisons de son retrait que le conseiller fédéral avait buté sur un problème du système gouvernemental suisse. Plus préci­sé­ment sur l’interprétation dominante du principe de collégialité, selon la­quelle un conseiller fédéral ne devrait défendre en public que des opi­ni­ons partagées par tous les membres du gouvernement.

On parle évidemment du choix fondamental à faire dans le dossier euro­péen. Selon les mots de Didier Burkhalter, «est-ce qu’on veut une rela­tion avec l’UE plus intense et porteuse d’avenir, en particulier en termes d’investissements en Suisse (...) ou est-ce qu’on estime qu’on peut lais­ser ce système de voie bilatérale s’éroder peu à peu?» Il s’agit là d’une décision qu’on ne peut pas repousser systématiquement. Le Con­seil fé­déral a depuis longtemps le mandat de dynamiser le système bilatéral au moyen d’un accord institutionnel.

Problème: M. Burkhalter sait en quoi consiste le bon compromis. Mais celui-ci ne réussit pas à plaire à la majorité au Conseil fédéral parce que la plupart de ses collègues pensent que ce ne sera pas non plus le cas par la suite au Parlement et devant le peuple. Pour faire face à cette opinion et pour prouver le contraire, M. Burkhalter devrait soutenir sa proposition beaucoup plus souvent et plus intensément au Parlement et dans la société, dans le but de convaincre. Mais il ne peut pas le faire, parce qu’un conseiller fédéral, selon l’interprétation actuelle du principe de collégialité, ne peut s’engager publiquement pour une idée qu’avec le soutien de la majorité de ses collègues. Conséquence: M. Burkhalter ne peut plus agir en faveur d’une solution dont il est convaincu. Il capitule et se retire.

M. Burkhalter lie toutefois ce renoncement à une réflexion marquante qui devrait cesser d’être ignorée comme jusqu’ici. Il a dit dans le même en­tre­tien: «La culture politique en Suisse consiste actuellement à refuser le problème quand on estime que sa solution n’est pas majoritaire. Ce qui est quelque part la négation de la politique. La politique consiste préci­sé­ment à porter des projets qui ne vont pas de soi, pour lesquels il faut se battre. La politique consiste à essayer de convaincre.»

Le fait que le conseiller fédéral Burkhalter n’ait pas pu fournir ce travail de conviction et de compréhension est un aveu de faiblesse de notre systè­me de collégialité et de concordance. Tous ceux qui l’apprécient doivent s’empresser de corriger ce défaut. Car un système politique qui empêche la mise en place des meilleures solutions n’a guère de chances de survie.

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Julius Fröbel (1805-1893), géographe, philosophe, éditeur et homme politique, démocrate radical, qui a eu trois nationalités (D/CH/USA).

«
Nous voulons la République sociale, soit l’État dans lequel le bonheur,
la liberté et la dignité de chacun sont reconnus comme l’objectif commun de tous (...). Le pouvoir de la société provient de l’entente et de l’accord de tous ses membres. (...) La discussion fait agir les convictions qui se sont développées dans l’esprit de personnes différentes les unes sur les autres, les tire au clair et élargit le cercle de leurs partisans. Le droit est fixé par l’évolution et la reconnaissance de la conscience dans la société, adopté par votation à la majorité des voix.
»

Extraits de deux livres de Julius Fröbel, Monarchie ou République (Mannheim 1848) et Système de la politique sociale (Londres 1847)


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