7.04.2017


Le Quotidien Jurassien

La Mosaïque de la Démocratie
Fragment 22

La démocratie, système des révoltés


Plus nous croyons connaître un écrivain pour l’avoir une fois lu à l’école, plus nous avons l’air d’oublier ses idées politiques. Ainsi, bien des ger­ma­nophones ont lu Johann Wolfgang von Goethe durant leur jeunesse. Pourtant, sont-ils conscients de son radicalisme démocratique? Con­seil­ler du duc de Weimar voici plus de 200 ans, Goethe disait: «Le meilleur gouvernement est celui qui apprend au peuple à se diriger lui-même.» A partir de cette phrase, on peut bâtir toute une théorie politique et de libération.

De même, avons-nous conscience de tous les enseignements d’Albert Camus en matière de démocratie? Le politologue Markus Pausch, de Salzbourg (Autriche), est convaincu que Camus nous a fourni rien moins que les éléments centraux d’une théorie de la démocratie. Pausch se réfère surtout à ses deux essais Le mythe de Sisyphe (1942) – Sisyphe représentant pour lui le «rebelle éternel mais heureux» – et L’Homme révolté (1951). Pour Pausch, ce sont les sources majeures de l’in­spi­ra­tion démocratique: «Pour Camus, l’homme ne peut survivre que par la révolte, car le monde reste muet quant à sa signification». Camus en tire la conséquence: «Je me révolte, donc nous sommes». L’écrivain français rejoint ainsi la conception de la politique et du pouvoir développée par Hannah Arendt, pour qui «le révolté ne peut rien changer seul à la po­li­tique, mais seulement par l’échange avec d’autres.» (cf. Mosaïque no 4, QJ nov. 2016)

L’homme trouve le sens de son existence dans la révolte infatigable contre toutes les injustices. La démocratie est le seul système politique qui le lui permette. Pausch dans son livre, qui va etre publié en juin: «La démocratie commence en tant que révolte par la résistance à la contrain­te et à l’oppression, se base sur le doute et le dialogue, et a deux visa­ges: une forme étatique de gouvernement basée sur les institutions, et une forme de vie fondée sur la communication entre les humains.»

Le philosophe indépendant Michel Onfray a dressé dans son ouvrage L’Ordre libertaire (Flammarion, 2012) un éloge saisissant au socialiste et syndicaliste libertaire Albert Camus. Il s’y appuie notamment sur l’œuvre journalistique riche et engagée de Camus avant (dans Alger Répu­bli­cain), pendant et après la Deuxième Guerre Mondiale (Combat). Dans ces textes, Camus se montre non seulement théoricien, mais également radical pragmatique, aussi sage que clairvoyant, sans jamais perdre de vue l’essentiel. Il écrit ainsi en 1955: «Nous ne devons ni mépriser les réformes, au nom d’une société encore lointaine, ni, à l’occasion des réformes, oublier le but dernier qui est la réintégration de la classe ouvrière dans tous ses droits par l’abolition du salariat. Tôt ou tard, la résistance des privilèges devra céder devant l’intérêt général. Mais ce sera plus tôt que plus tard si nous envisageons dès maintenant que les syndicats doivent participer à la gestion du revenu national (...) Et tout cela dans la perspective d’une Europe fédérale, post-nationale (...) L’unité est d’abord une harmonie de différences.»



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Albert Camus (né en 1913 en Algérie, mort en 1960 en France)
est un écrivain, philosophe, dramaturge et journaliste militant français. Pour ses grandes œuvres, Le Mythe de Sisyphe et L’Etranger (1942),
La Peste (1947) et L’Homme révolté (1951), il a reçu le Prix Nobel
de littérature en 1957.

«
La démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité,
mais la protection de la minorité.
»

Extrait des Carnets III de Camus, mars 1951- décembre 1959,
parus chez Gallimard, Paris, 1989.


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