1. April 2017

Le Quotidien jurassien

Mosaïque de la démocratie

Fragment no 21

La démocratie en plein désarroi


«La France est une personne», déclarait il y a 150 ans l’historien Jules Michelet, auteur d’une histoire de France écrite telle un grand roman historique. Il ajoutait: «Et l’Allemagne est un peuple, l’Angleterre un empire!» Celui qui se rend aujourd’hui en visite en France est reçu par une dame distinguée, polie, fière d’elle-même, même gaie et assez bavarde – jusqu’au moment où vous essayez de la faire parler de l’élec­tion présidentielle de ce printemps. A ce moment, elle cesse de parler, hausse les épaules, tourne le dos et veut s’enfuir. «Notre démocratie est malade, elle me dégoûte!» Elle poursuit tristement: «La politique est dans le désarroi. Nous avons l’impression de vivre un bouleversement sans que nous puissions savoir dans quelle direction cela va nous emporter!»

Dans la presse, les analyses confirment ces impressions. «Constam­ment invoquée dans le discours public, la démocratie s’est peu à peu entièrement vidée de son sens. Un pur fétiche, voilà ce qu’elle est de­venue. Une égalité de droits formels constamment démentie par l’explo­sion réelle des inégalités de fortune», écrit la journaliste Aude Lancelin dans l’hebdo Le 1 de cette semaine. La juriste Charlotte Girard se fo­ca­lise sur le régime de la Ve République: «Elle est manifestement en bout de course. La Constitution de 1958 ne permet plus à la société d’être consentante.» Et elle cite Lénine: «L’état de crise, c’est quand en haut, on ne peut plus, et qu’en bas, on ne veut plus.»

Contradiction des uns, précision des autres. Marcel Morabito, qui a écrit L’Histoire constitutionnelle de la France depuis 1789, un manuel de réfé­ren­ce: «Le problème que nous vivons n’est pas d’ordre institutionnel mais d’ordre politique. La Constitution de 1958 a apporté la stabilité gou­vernementale. C’est une vertu que peu de républiques avant la Ve ont réussi à atteindre. (...) La véritable question se pose sur le plan politique. Il y a une faillite des partis classique.»

L’historien Michel Winock nuance: «L’idée d’une VIe République ne me semble pas très heureuse. (...) La solidité de la Ve république avait un prix, le caractère monarchique de l’Ètat. (Son ingénieur,) le général de Gaulle lui-même, qualifie ce régime de monarchie élective. (...) François Mitterrand, en 1964, eut beau jeu de le dénoncer comme Le Coup d’Etat permanent. Mais quand Mitterrand eut enfilé les habits du président, il ne changea rien aux habitudes de l’exercice présidentiel. (...) Il suffirait au nouveau président de respecter la Constitution, qui assigne au premier ministre de déterminer et conduire la politique de la Nation, et cela ef­fa­ce­rait le pouvoir monarchique. (...) Ce n’est pas la seule revendication de notre société contemporaine. Un écart s’est dangereusement creusé entres les citoyens et leurs élus, entre les électeurs et les gouvernants.»

L’essayiste et homme politique Jean-Louis Boulanges explique la crise institutionnelle et les propositions réformatrices de l’ensemble des can­didats par une réflexion historique de la sociologie politique: «Nous vi­vons une remise en cause extrêmement vigoureuse du système in­sti­tué en 1962 (par le général de Gaulle). C’est-à-dire du système majoritaire qui suppose un partage bipolaire de l’opinion. (...) Aujourd’hui, nous av­ons donc une droite et une gauche profondément divisées et un sys­tè­me, le fameux quadrille bipolaire, qui n’est plus capable de gérer de façon satisfaisante quatre forces politiques qui sont en réalité très in­dé­pendantes les unes des autres.» Ces réflexions vont aider notre dame à faire son choix, tout en continuant de râler sur la politique, même si son choix était aussi celui de la majorité des Françaises et Français.


★ ★ ★ ★ ★ 

Charlotte Girard, spécialiste française de droit constitutionnel,
habilitée à diriger des recherches à l’Université de Paris-Ouest Nanterre, co-autrice du programme L’avenir en commun de la France insoumise
de Jean-Luc Mélenchon:

«
Ce n’est pas seulement une crise de régime. C’est aussi une crise politique. Et une crise économique et sociale qui aggrave et démultiplie les insuffisances de l’organisation institutionnelle de cette République (…) À la dépossession économique du peuple, on ajoute une dépossession politique. Cette alliance-là est catastrophique.
Le risque, c’est celui de l’autoritarisme.
»
Extrait d’un débat pour ou contre une sixième République, dans Le 1, journal hebdomadaire français, Paris, No 148, 29 mars 2017.



Kontakt mit Andreas Gross



Nach oben

Zurück zur Artikelübersicht