11 Mars 2017

Le Quoditien jurassien

Mosaïque de la démocratie

Fragment no 18

L’Europe est possible sans
confiscation de la démocratie



Sans la notion d’Etat fédéral, laissant aux cantons leur souveraineté et leur autonomie tout en les faisant les éléments déterminants d’un plus grand ensemble démocratique, il n’y aurait pas eu de Suisse en 1848. Cette innovation venue des Amérindiens a permis aux cantons de se réunir, nous l’avons expliqué ici la semaine dernière (QJ du 4 mars). Cela leur a coûté plus de 20 ans d’efforts. Personne ne remet plus au­jour­d’hui en question cette solution idéale. C’est l’un des facteurs du succès de la Suisse moderne. Selon Friedrich Dürrenmatt: «Très dif­fé­rents les uns des autres, les Suisses restent volontiers ensemble parce qu’ils décident eux-mêmes de leur communauté et sont appelés tous les trois mois à se quereller sur le COMMENT.»

Il est d’autant plus étonnant que personne ne semble jusqu’ici faire appel à cette recette de succès au niveau européen, dans la perspective d’une restauration de l’Union européenne (UE). Une raison pourrait en tenir à une différence linguistique: Dans l’histoire des Etats-Unis, c’etaient les Federalists qui, dans le processus constitutionnel pour l’état fédérative, ont plaidé pour un centre fort à Washington DC. En Europe au contraire, beaucoup de fédéralistes tiennent à une fédération dont la constitution définit clairement la répartition des tâches, sauvegarde l’autonomie des Etats membres et intègre le principe de subsidiarité propre au fédé­ra­lis­me. De plus, la Suisse, malgré sa structure indéniablement fédérale, conserve toujours le nom officiel de Confédération - encore un écran de fumée conceptuelle qui ne contribue guère à la clarification et à la com­pré­hension générale d’une forme d’intégration libre et démocratique.

C’est maintenant le moment pour l’Europe d’en faire autant. Car, selon les termes de Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires ét­rangères: «59 ans après le traité de Rome, 24 ans après le traité de Maas­tricht, l’Union européenne (UE) est dans un état de grave déréliction ou tout au moins d’hébétude. (...) L’évidence que l’Union s’est mêlée trop de tout et de n’importe quoi, (...) que, en sens inverse, trop de pro­mes­ses exagérées se sont retournées contre elle et qu’elle a failli en re­van­che dans ce que les gens à tort ou à raison attendaient d’elle, est es­ca­motée. (...) Les fragilités sont de plus en plus apparentes. Il n’est pas exagéré de parler à propos de l’Union, telle qu’elle est conçue aujour­d’hui, de crise existentielle. (...) Le moment est venu de penser tout à fait autrement pour sauver l’idée européenne; (…) il faut redonner à chaque pays une pleine respiration démocratique. (...) C’est à partir du constat de la confiscation excessive de la démocratie qu’il faut conce­voir la ... refondation.»

Même la direction de l’Union, la Commission, vient d’admettre que le mo­ment est venu d’ouvrir un nouveau chapitre. Dans son livre blanc (à lire ici), elle propose cinq différents scénarios pour l’avenir - mais sans au­cune autocritique, au­cune réflexion de forme (traité ou constitution?), au­cuns critères a utilise, aucune référence à l‘érosion de la démocratie, aucune analyse pour comprendre ce que le président du Conseil euro­pé­en, Donald Tusk, a nommé «malaise existentiel de l’UE». Au travail! Pourquoi pas dans une Groupe de Réflexion Européen du Jura?


★ ★ ★ ★ ★ 

Hubert Védrine, politologue né en 1947 dans la Creuse, a été proche collaborateur du président François Mitterrand de mai 1981 à mai 1995, puis ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002:

«
Au moment où il s’agit de réintéresser, de réengager des peuples exaspérés par la dépossession démocratique, il serait contradictoire
de mener toutes ces politiques au niveau européen en vampirisant
tous les autres niveaux de décision. (...) C’est tout simplement l’épreuve de vérité démocratique, pour un projet historique qui court à sa perte
s’il n’est pas fondamentalement redéfini. (...) Il faut revenir à la juste formule de Jacques Delors fédération d’Etats-nations, oxymore intelligent qu’il employait d’ailleurs dans un sens assez fédéral ...
»

Extrait du dernier petit livre de Hubert Védrine, Sauver l’Europe!
Editions Liana Levi, Paris, décembre 2016.



Kontakt mit Andreas Gross



Nach oben

Zurück zur Artikelübersicht