18. Feb. 2017
Le Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
(Fragment 15)
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Comprendre le populisme pour mieux accomplir la démocratie
Il y a au moins trois raisons de revenir sur la thèse du politologue allemand Jan Werner Müller présentée ici il y a deux semaines (mosaïque no 13/QJ 4.2.2017),que le populisme est incompatible avec la démocratie.
D’abord, mon ancien collègue Dominique Bättig a publié ici (QJ 8.2.2017) une violente riposte. Selon lui, c’est une erreur de croire que populisme et démocratie sont contradictoires. Ensuite, il l’a fait d’une façon si typiquement populiste que sa réflexion nous enseigne certaines spécialités du discours populiste. Troisièmement, la discussion constitue l’âme de la démocratie, son élixir de vie, comme l’a écrit le politologue allemand Peter Graf Kielmansegg au début de la semaine dans un grand article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung intitulé «Populisme sans frontières».
Par sa façon de réagir, Dominique Bättig ne fait rien pour simplifier la discussion. Car il n’ajoute aucun argument à sa riposte. Il ne motive pas son objection qui déclare fausse la thèse de l’incompatibilité. Au contraire, il la fait suivre, sur plus de la moitié de la lettre, d’un plaidoyer pour la démocratie directe, ou plutôt pour le droit du peuple qui «dans l’expression de sa majorité votante, doit avoir le dernier mot (...) comme socle de bon sens, comme indicateur de l’intérêt général du plus grand nombre.» Bättig semble par-là assimiler la démocratie directe au populisme et les réduire tous deux au pouvoir de décision de la majorité ainsi qu’à «sa méfiance des élites autoproclamées».
Bättig confirme ainsi les attributs du populisme et des populistes: réduction du peuple à une position et à un groupe d’opinion unique, ainsi qu’exclusion «hors de ce peuple» de tous ceux qui pensent autrement. Cela revient à les déclasser parmi n’importe quelles élites (classe politique, les donneurs de leçons de morale, les groupes d’influence discrets, les bobocrates, les progressistes).
Ce faisant, Bättig ignore non seulement la diversité qui constitue le peuple, mais aussi les significations diverses de la démocratie. D’après P. Rosanvallon, celle-ci ne se limite pas à un principe commandant, auquel appartient aussi le droit soumis à des décisions majoritaires. Elle comprend aussi une exigence, la forme d’une société d’égaux (la démocratie englobe la protection des droits individuels fondamentaux), ainsi que la promesse d’un cadre de vie, d’une juste répartition des chances de la vie, qui suppose également la primauté de la politique sur l’économie.
Conclusion, tant chez Kielmannsegg et Müller que chez Rosanvallon: «Approfondir la question du populisme conduit à mieux comprendre la démocratie; la présence du populisme oblige à penser la démocratie pour mieux l’accomplir».
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Pierre Rosanvallon, né à Blois dans la vallée de la Loire en 1948, est historien et sociologue et aujourd’hui l’expert français le plus estime sur l’histoire et l’essence de la démocratie. Etant dans les années 1970 syndicaliste et rédacteur Rosanvallon occupe depuis 2001 la chaire d'histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France tout en demeurant directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.
«Le populisme est le point de rencontre entre un désenchantement politique, tenant à la mal-représentation, aux dysfonctionnement du régime démocratique, ainsi qu’au point de jonction de ce désenchantement avec un désarroi social, liée à la non-résolution de la question sociale aujourd’hui avec le double sentiment d’impuissance, d’absence d’alternatives et d’opacité du monde qu’en découle.»
Extrait d’une présentation sous le titre Penser le populisme du Rosanvallon lors des 26iemes Rencontres de Pétrarque le 27 septembre 2011, à trouver sous le lien www.laviedesidees.fr/Penser-le-populisme.htl; Deux des œuvres centrales de Pierre Rosanvallon: Le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1998; Folio-Histoire, 2002 et La Démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2000, Folio Histoire 2003.
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