17. Dez. 2016

Le Quoditien jurassien

Mosaïque de la démocratie

(Fragment 7)

La barrière antidémocratique de la frontière


Savez-vous ce que les Jurassiens partagent avec les Bâlois, les Alle­mands de Waldshut (sud de la région de Bade) et les habi­tants de la ville de Linz en Autriche? Les uns et les autres vivent dans le voisinage im­mé­diat de centrales nucléaires, mais n’ont strictement rien à dire sur leur existence – pourtant potentiellement très dangereuse.

Ce qu’est pour les Bâlois et les Jurassiens la plus ancienne centrale nu­clé­aire française de Fessenheim (Alsace), la centrale atomique suisse de Leibstadt l’est pour les habitants de Waldshut sur l’autre rive du Rhin et la centrale tchèque de Temelin (Bohême du Sud) pour ceux de Haute-Autriche: à chaque fois juste de l’autre côté de la frontière.

Les trois groupes de population sont directement concernés une de ces installations, sans rien avoir à dire sur son existence ou sa durée de vie. Ces populations sont donc tous trois victimes d’une réelle contradiction au principe de la démocratie exposé ici-même il y a une semaine (LQJ du 10.12.2016), suivant lequel les personnes concernées doivent aussi être celles qui décident dans une démocratie.

Il y a une semaine, nous avons montré que cette utopie démocratique n’est respectée que très partiellement dans les divers Etats. Ainsi, les personnes qui vivent en Suisse sans détenir le passeport national sont touchées par les décisions helvétiques, mais n’ont aucun droit d’y par­ti­ci­per. Ce sont des exclus intérieurs, victimes d’un déficit démocratique interne.

La situation des personnes touchées par les centrales atomiques par-delà les frontières est explicite. Elle montre que, dans les sociétés mo­dernes et démocratiques, de larges milieux sont exclus des décisions qui les concernent. Ce sont les exclus extérieurs, victimes d’un déficit démocratique externe.

Cela signifie que l’Etat est trop petit pour garantir la démocratie à tous dans divers domaines. Outre les centrales nucléaires, on peut citer le réchauffement climatique ou le trafic des poids lourds. Pour supprimer les déficits démocratiques externes, il suffirait de dépasser les frontières de l’Etat-nation, les élargir, au plan continental, aux 49 Etats de l’Europe, du Portugal à la Russie en passant par la Biélorussie et le Kosovo.

Globalement, cela exigerait la transformation des Nations Unies (ONU), une organisation gouvernementale, en une union cosmopolite. Une telle transformation éviterait des situations antidémocratiques, telles que les vivent, sur le dossier nucléaire, les Bâlois, les Jurassiens, les habitants de Bade ou de Linz.

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David Held, né en 1951, politologue britannique qui prône la nécessité d’une démocratie transnationale et cosmopolite. Il dirige l’Institut de politique globale de l’Université de Durham (Angleterre):

«Les frontières territoriales déterminent généralement quels individus sont exclus ou englobés dans une décision qui agit sur leur vie. Mais les conséquences de ces décisions vont souvent largement au-delà de ces frontières. (...) Les démocraties nationales exigent donc une démocratie internationale et cosmopolite pour que leur régime politique perdure. Il faut élargir et approfondir la démocratie – entre et dans les différents pays – pour qu’elle puisse conserver son importance à l’avenir.»

Tiré de l’introduction de David Held à son livre Democracy and the Global Order, from the Modern State to Cosmopolitian Governance (Démocratie et ordre global, de l’Etat moderne à la gouvernance cosmopolite), Cambridge Polity Press, 1995, pp. 17 et 23. Cet ouvrage n’a pas
été publié en français.



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