6 novembre 2016
Domaine Public
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Andreas Gross, un homme-orchestre de la démocratie
Par Jean-Daniel Delley
Rien de ce qui touche à la démocratie n’est étranger à Andreas Gross.
Conseiller national socialiste durant cinq législatures, membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pendant 20 ans, observateur lors des élections dans de nombreux pays, il fut co-fondateur du mouvement pour une Suisse sans armée. Mais, fait plus rare dans le monde politique, il est également chercheur, enseignant universitaire et inlassable chroniqueur de la démocratie directe.
Le nouvel ouvrage que vient de publier Andreas Gross reflète parfaitement ces engagements multiples. La démocratie directe, c’est une histoire dont il ne faut cesser de rappeler les origines. Mais c’est également un exercice, une action en continu. Et c’est une perspective, un atout pour affronter la crise actuelle de la démocratie au défi de la mondialisation.
En 9 chapitres et 70 articles rédigés au cours des trois dernières décennies, l’auteur éclaire ces différentes facettes, des origines à la pratique au jour le jour des droits populaires et aux possibilités offertes par la démocratie directe pour autant qu’elle s’adapte et se développe encore – le livre s’intitule «La démocratie directe inachevée».
Nous retiendrons plus particulièrement ce rappel: la Suisse moderne n’est pas née avec la démocratie directe. En 1848, elle se dote d’un régime strictement représentatif. La conquête progressive des droits populaires commence d’abord dans les cantons. En particulier à Zurich qui, en 1869, sous l’impulsion du mouvement démocrate et du journal Landbote, adopte une nouvelle constitution. Le mouvement est porté par des assemblées populaires qui réunissent plus de 20’000 participants – près du tiers du corps électoral. La Constituante élue reçoit des propositions de centaines de citoyens et de femmes qui ne disposent pas du droit de vote.
Ce vaste mouvement populaire fait vaciller le pouvoir d’une caste de privilégiés, acteurs d’un développement économique qui ne profite qu’à une minorité et dont Alfred Escher, conseiller d’Etat et conseiller national, baron du chemin de fer et fondateur du Crédit suisse, reste la figure emblématique. Cet élan conduira ensuite à l’introduction, au niveau fédéral, du référendum législatif facultatif (1874) et de l’initiative populaire en matière constitutionnelle (1891).
La Suisse fait alors figure de pionnière du développement démocratique qui va inspirer aussi bien des pays européens (pays baltes, Danemark) que les Etats-Unis et l’Australie. Mais si, entre 1830 et 1870, notre pays se trouve politiquement au centre de l’Europe, les conflits qui ravagent ensuite le continent vont l’isoler à la marge. Les Suisses considèrent alors la démocratie et les droits populaires comme un privilège qui leur est propre et non comme un droit fondamental à caractère universel, note Gross.
La conciliation entre démocratie et droits de l’homme – l’une n’est pas concevable sans les autres – s’impose en Europe après la deuxième guerre mondiale et conduit à la création d’une juridiction continentale, la Cour européenne de droits de l’homme. Cette conciliation n’est toujours pas réalisée dans la conscience collective helvétique, comme en témoignent les votations qui nous ont mis en porte-à-faux avec les droits fondamentaux (interdiction des minarets, internement à vie, etc.).
S’il y a crise de la démocratie, cela ne tient pas aux droits populaires. Au contraire, ces derniers facilitent l’expression de nouvelles idées, notamment de la part des minorités, et tempèrent le pouvoir des gouvernants, analyse Andreas Gross. C’est plutôt dans la dégradation des conditions indispensables à leur exercice qu’il faut chercher les racines de cette crise. Ces conditions? La capacité d’intégrer toutes les parties dans le débat plutôt que d’en exclure certaines, le besoin de s’informer et l’aptitude à revoir sa propre opinion. L’échange, la communication, la dispute fondée sur des arguments, la force de conviction, toutes dispositions dont Andreas Gross a fait preuve dans sa vie de militant et de parlementaire.
Le propagateur de la démocratie directe sait éviter l’écueil du populisme qui érige le peuple en souverain aveugle. Pour Gross, les droits populaires ne constituent pas un substitut à la démocratie représentative, mais la complète dans un jeu complexe d’essais, d’erreurs et de corrections.
L’auteur est bien conscient de la perte d’influence de l’Etat-nation face aux pouvoirs économiques. L’idéal démocratique ne lui est d’ailleurs pas lié. Pour pallier cet affaiblissement de l’Etat, Gross ne préconise pas la création d’un Etat mondial. La globalisation de la démocratie passe selon lui par un système juridique planétaire reconnaissant à chaque être humain les libertés fondamentales ainsi que les droits sociaux et environnementaux, garantis par une juridiction analogue à la Cour européenne des droits de l’homme.
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