18.02.2002
Le Temps
Suisse

UNO: La toute-puissance américaine devient l'enjeu central du débat suisse sur l'ONU

Dès la première réplique d'un débat l'opposant à Joseph Deiss, Christoph Blocher dénonçait le boycott onusien «qui affame les peuples». Sans les nommer, il désignait bien sûr l'Irak et surtout les Etats-Unis qui dictent leur loi à l'ONU - quand ils daignent recourir à ses services. Que le parti du tribun zurichois ait à l'époque approuvé les sanctions contre l'Irak ne lui semble pas contradictoire («C'était l'aile bernoise, moi j'étais déjà contre»). Quant à la proposition de Christoph Blocher qui, en pleine campagne sur l'Espace économique européen en 1992, préférait signer un tel accord avec Washington plutôt qu'avec Bruxelles, elle est discrètement tombée dans les oubliettes.

C'est qu'entre-temps, il y a eu la polémique des fonds en déshérence où la Suisse a fait la cuisante expérience de sa solitude face au rouleau compresseur américain. Pour Christoph Mörgeli, conseiller national UDC zurichois opposé à l'entrée dans l'ONU, l'affaire a laissé des traces: «Les Suisses sont devenus extrêmement méfiants à l'égard des Etats-Unis. Au temps de la guerre froide, ils admiraient «la deuxième nation la plus libre du monde». Aujourd'hui, ils y voient d'abord une superpuissance caricaturale et querelleuse qui s'assied sur le droit quand ça l'arrange.»

L'antiaméricanisme regagne du terrain. On le sent dans les domaines les plus divers, par exemple dans l'exaspération d'une avocate genevoise dénonçant «les autorités américaines qui n'ont pas encore répondu à une commission rogatoire qui leur a été envoyée il y a trois ans, alors que dans l'autre sens elles exigent que la Suisse s'exécute sur-le-champ». Chantal Balet, qui fait campagne pour economiesuisse en faveur de l'ONU, pense que ce sentiment représente «un réel danger dans le débat, notamment chez les Romands qui n'ont jamais été très américanophiles». Dans la douzaine de débats auxquels ils ont participé, Claude Frey et Erwin Jutzet, respectivement président et vice-président de la Commission de politique extérieure du Conseil national, constatent que les arguments du blocus de l'Irak ou de la partialité américaine dans le conflit palestinien reviennent souvent, au point d'éclipser les questions attendues sur la cotisation suisse au budget onusien.

L'Oncle Sam est ainsi devenu l'invité-surprise du débat sur l'ONU. Cela n'étonne pas Andreas Gross qui, il y a un an déjà, interpellait Joseph Deiss sur l'absence de références à la thématique américaine dans le message du Conseil fédéral. «Le gouvernement n'ose pas aborder cette question de front, dit le socialiste zurichois qui est une des principales chevilles ouvrières de l'initiative en faveur de l'adhésion. Or on ne convaincra les gens qu'en leur montrant que l'ONU est la seule alternative à cette situation.»

Ainsi, une bonne partie du débat tourne aujourd'hui autour du potentiel de l'ONU à réfréner les appétits du maître du monde. Et les positions se sont inversées par rapport au temps de la guerre froide. La droite nationaliste brandit le spectre de l'impérialisme américain, tandis que la gauche et les partisans d'une adhésion répondent que siéger à l'ONU permet au moins de nouer des alliances. «Pour contrecarrer la puissance américaine, il faut être nombreux, résume Chantal Balet. Et comment trouver des alliés? De la même manière que ce qui se passe à plus petite échelle chez nous: en appuyant des candidatures, en rappelant au bon moment un vote de soutien...»

Christoph Mörgeli juge cette approche naïve: «Croyez-vous qu'une participation à l'ONU aurait changé les rapports de force pour les avoirs en déshérence? L'affaire concernait les banques. Le fond du problème est plutôt que nos dirigeants passent leur temps à s'excuser. C'est cela qui nuit à l'image de la Suisse.»

Paradoxalement, Andreas Gross se rapproche de ce point de vue quand il regrette «la profonde méconnaissance de la politique internationale qui empêche le gouvernement d'avoir une position offensive et constructive». Lui qui se rend chaque année au siège de l'ONU avec le Conseil de l'Europe peut y suivre les projets de réforme. «Bien sûr que la structure actuelle reflète le pouvoir tel qu'il se présentait il y a 50 ans. Il faut avoir le courage de le dire et savoir que les changements prennent du temps.» Mais quand Andreas Gross propose quatre pistes pour réformer l'ONU, aucun politicien suisse n'entre en discussion. Ce seul silence justifie à ses yeux une adhésion, qui «va changer la vie parlementaire. Les sujets internationaux y deviendront plus présents. Pas comme les traite la gauche archaïque genevoise qui se contente de jeter des anathèmes, mais pour mieux cerner les enjeux.»

Quant à savoir si les récentes déclarations de George Bush sur «l'axe du mal» et les bruits de bottes autour de l'Irak entament le socle de soutien à l'ONU, Claude Frey estime que non: «Dans l'ensemble, les opinions sont faites. A Neuchâtel, beaucoup ont utilisé le vote anticipé. Et je suis confiant quant au résultat.» Erwin Jutzet pense également qu'il reste peu d'indécis et que la meilleure façon de les convaincre est de parler franc, sans nier les faiblesses de l'ONU. «Je suis de plus en plus optimiste. J'ai rencontré le président de l'UDC Ueli Maurer en débat, et j'ai eu l'impression que lui-même ne croit plus au succès du non.» Andreas Gross se dit aussi rassuré par un sondage portant sur deux mille Bernois et montrant que le oui l'emporterait à 62% dans ce canton: «Cela veut dire que nous pouvons aussi gagner l'Argovie, Lucerne ou Saint-Gall.»

Andreas Gross

 

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