09. Juni 2009

Le Temps

les socialistes ont oublié que la démocratie ne se limite pas à l'Etat-nation


Hormis en Grèce, et dans certains pays nordique, les sociaux-démocrates sortent très affaiblis du scrutin. Qu'est-ce que cela vous inspire?

La victoire des nationaux-conservateurs et des nationalistes est encore plus grave que la défaite des sociaux-démocrates. En ce sens, ce sont les Européens au sens large, y compris les libéraux ou la droite conservatrice classique de Angela Merkel, qui ont perdu ces élections.

Les socialistes enregistrent tout de même une sévère défaite. N'ont-il pas su apporter les bonnes réponses en période de crise?

Les socialistes semblent avoir perdu la confiance de beaucoup de citoyens de pouvoir faire mieux dans l'intérêt de la grande majorité. Ces derniers ne leur reconnaissent pas la compétence de sortir l'Europe de la crise économique et politique. Je vois deux raisons à cela. La première est que beaucoup de socialistes sont devenues trop élitistes, ils travaillent pour les gens, non pas avec, ils adressent les citoyens trop comme consommateurs de la politique et pas comme acteurs. Deuxièmement, les socialistes ont oublié que la démocratie ne se limite pas à l'Etat-nation et ne peut même pas être défendu sur le niveau nationale. En Suisse, nos institutions contraignent les politiciens à écouter les citoyens. Mais pas chez nos voisins: en Allemagne, les socialistes n'ont pas suffisamment motivé leurs électeurs pour leur projet européenne, même si, à leur décharge, les scrutins européen et national se sont trop superposés. Leur message était trop flou et trop peu réformiste. En France, le PS, totalement déchiré, manque de vision européenne qui va au delà d'une grande France. En Autriche, les socialistes se sont montrés trop populistes et ont lâchés le projet d'une union fédéraliste et démocratique. Enfin, en Italie, où la gauche est aussi dispersée, il manque un rassembleur qui a le charisme de Berlusconi.

Vous êtes plutôt dur avec vos camarades européens ...

Je suis réaliste. Les erreurs sont flagrantes depuis quinze ans. Les socialistes avaient déjà encaissé un revers lors des dernières élections européennes. Maintenant, ils doivent mener une grande réflexion autocritique et il nous faut commencer à parler franchement. J'espère que je pourrai participer à ce débat en tant que président du groupe socialiste au Conseil de l'Europe à Strasbourg. Je vais proposer des idées.

Lesquelles?

Dès que le Traité de Lisbonne pourra entrer en vigueur, au 1er janvier 2010, il faudra revenir au projet de la Constitution européenne. Mais substantiellement et méthodiquement dans un autre sens. C'est le lieu où il faut intégrer l'avenir de l'UE et l'avenir de la démocratie. Il ne faut surtout pas croire qu'avec le Traité, qui sera ratifié cet automne par l'Irlande, on a pu se débarrasser d'une constitution. Il faut relancer le processus, en faisant participer les citoyens. Un tel projet doit être défendu par un vrai démocrate et non pas par un aristocrate (ndlr: Valéry Giscard d'Estaing).

Ce scrutin marque également l'essor des Verts. Représentent-ils une menace pour les sociaux-démocrates?

Je regrette que les Verts, qui gagnent une dizaine de sièges, n'aient pas raflé la cinquantaine de sièges perdus par les sociaux-démocrates ... Pour moi, on ne peut pas parler d'un essor vert européen. Cette percée a eu lieu en France, c'est vrai. Daniel Cohn-Bendit a réussi à développer un discours européen convainquant depuis octobre dernier. Il n'a pas réduit ces élections à un vote sanction contre Nicolas Sarkozy, mais il a appelé à un vote contre José Manuel Barroso, un fondamentaliste du marché qui n'a rien compris du caractère profonde de la crise. Ailleurs en Europe, les Verts sont moins convaincants. Ce qui est logique, à l'heure où l'économie traverse une crise. Pour vraiment sortir de la crise économique on ne peut pas ignorer les déficits sociales, démocratiques et écologiques de l'ancienne system qui a produit la crise. Mais C'est difficile de le faire comprendre.

L'autre enseignement de ces élections est la nette progression de l'extrême-droite.

Les politiciens européens ont lâché le projet de la démocratie transnationale. Qui défends l'Europe ne peut pas ignorer la démocratie, et ceux qui défendent la démocratie ne le peuvent pas sans l'Europe. Dans les pays où l'extrême-droite enregistre une forte progression, à savoir les Pays-Bas, la Hongrie, les Pays Baltes et l'Angleterre, les autres partis ont oublié le peuple. Et les nationalistes ont exploité ces faiblesses. Or, il est nécessaire de réinventer la démocratie chez soi et en s'installant sur le niveau européenne transnationale. Sinon, les citoyens se tournent vers leur nation. L'Europe doit devenir un projet des citoyens. La légitimation de ses institutions doit venir de la démocratie transnationale. On ne peut pas enthousiasmer les gens si on ne leur propose pas un projet. Les Eurosceptiques, en disant non à l'Europe, sont les seuls qui ont défendu une idée – malheureusement insuffisamment pour devenir un projet.

Avec ce recul social-démocrate, les pressions fiscales sur la Suisse vont-elles diminuer?

Non, rien ne changera. Il y a un consensus, selon lequel l'Europe n'accepte plus les législations bancaires qui invitent à la triche. Ce n'est pas l'Allemand Peer Steinbrück qui nous parle, mais un Européen. Les Suisses n'ont pas compris qui était leur interlocuteur. Le ministre hollandais des Finances (Wouter Bos) m'a confirmé par son collègue chargé pour l'Europe que Peer Steinbrück fait le travail pour tout l'UE. En ce sens, les résultats de ce scrutin ne vont pas soulager la vie des cantons suisses.


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