24. Avril 2007
Sommet européen, Lucerne
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Une initiative euro-citoyenne pour une constitution européenne?
Le sommet européen et la démocratie
Par Andreas Gross. Politologue et socialiste, conseiller national zurichois et député au conseil de l’Europe. Depuis 1992, il a été chargé de cours à l’Université de Marburg (Hesse) pour les questions de démocratie; il y a développé lors d’un séminaire, avec son collègue Theo Schiller et les étudiants et étudiantes, l’idée de l’initiative pour une constitution européenne.
Aujourd’hui, sur le plan institutionnel comme sur celui du droit, la Suisse est plus proche que jamais de l’Union Européenne. Presque vingt traités importants et plusieurs dizaines d’accords de moindre dimension lient la politique suisse - et la sphère professionnelle de la plupart des Suisses - à celle de l’Europe plus étroitement que jamais. Cependant, la distance émotionnelle et mentale de nombreux citoyens et de nombreuses citoyennes suisses n’a jamais été aussi grande que maintenant. La «guerre fiscale» est davantage l’expression de cette crise relationnelle que sa cause. Avant les élections fédérales de l’automne, les rares artisans d’une entente seront bien en peine de se faire entendre : bien trop nombreux sont ceux qui croient pouvoir profiter de cette polarisation.
La Suisse moderne doit entre autres à l’Europe le succès de sa fondation libérale, en 1848, et, depuis, son existence et son identité. De même, elle ne restera pas davantage ce qu’elle souhaite être sans l’Europe. Seuls quelques rares banquiers ne frissonnent pas à l’évocation d’une Suisse qui, dans cinquante ans, pourrait être le Grand Monaco de l’Europe.
C’est pourquoi la future forme politique de l’Union européenne ne devrait pas nous laisser indifférents. Au contraire ! Nous devrions reconnaître nos expériences nationales qui pourraient être intéressantes et utile pour l’avenir de l’Europe. Et nous devrions saisir le bon moment de les amener dans le débat, qui se prolonge depuis deux ans déjà, sur les moyens de surmonter la « crise constitutionnelle » européenne. Un tel moment est arrivé. Au début de ce mois, devant les correspondants de sept grands journaux européens, Tony Blair esquissait un possible consensus des 27 chefs d’Etat et de Gouvernement, en étroite concertation avec la Chancelière fédérale et actuelle présidente de l’UE. Angela Merkel n’avait plus qu’à attendre l’installation du nouveau chef de l’Etat français – les deux leaders avaient d’ailleurs anticipé la prise en compte de ses positions - pour faire connaître, sinon tous les termes de ce consensus, du moins la procédure devant y mener.
Le cœur du consensus à la Merkel, Blair et compagnie signifie l’abandon du projet constitutionnel européen. La limitation des réformes à un « traité simplifié » doit simplement permettre un meilleur fonctionnement de l’Union des 27 Etats. Ce traité modifié devrait être élaboré par une conférence gouvernementale qui commencerait ses travaux à fin juin et les achèverait d’ici la fin de l’année, sous la présidence portugaise ; la ratification du nouveau traité de l’UE pourrait alors se faire jusqu’à la prochaine élection au Parlement européen, en juin 2009.
Depuis les révolutions américaine (1776) et française (1789), une constitution est le fondement de toute démocratie et l’unique source du pouvoir politique légitime. D’après deux promoteurs déterminants de la démocratie, les amis Tom Paine (1737-1809) et Condorcet (1743-1793), il est tout aussi évident qu’une constitution démocratique nécessite l’approbation de la majorité des citoyens auxquels elle s’applique, qu’elle soit donc soumise au référendum obligatoire.
Aujourd’hui, la démocratie vit une double crise. D’une part, elle est trop restreinte à sa fonction élective. D’autre part, étant donné l’extension transnationale de l’économie, elle n’est pas en mesure de réaliser, dans un cadre national, sa promesse de répartition équitable des biens et des chances. C’est pourquoi la démocratie a besoin à la fois d’un approfondissement et d’un élargissement, internationalisation ou, pour le moins, européanisation.
Les promoteurs les plus progressistes de l’intégration européenne étaient tout à fait conscients, en 1945, du nécessaire constitution d’une Europe démocratique et fédéraliste. Mais la guerre froide l’empêcha. La communauté européenne se construisit sur la base de traités et non sur celle d’une constitution ; seuls des Etats et leurs élites furent intégrés, non les peuples et les gens ordinaires ; on alla de l’avant sur le plan économique et non sur le plan politique. Lorsque la guerre froide prit fin, en 1989, la majorité des élites européennes pensa que l’Euro revêtait plus d’importance que le vieux projet constitutionnel. Une solution de fortune, bricolée et monstrueuse, fut appelée «traité constitutionnel» et échoua au printemps 2005 lors des référendums français et néerlandais.
L’Européen le plus convaincu parmi les chefs de gouvernements des Etats membres de l’Union européenne, le belge Guy Verhofstadt, est aujourd’hui encore en faveur d’un véritable projet constitutionnel. Mais la majorité de ses collègues est loin de se rendre compte à quel point l’Europe a besoin de plus de démocratie et combien la démocratie a besoin de plus d’Europe.
C’est pourquoi il faudrait engager l’UE à attribuer aux citoyennes et aux citoyens la décision de lancer un réel processus constitutionnel européen. Cette compétence pourrait être fixée dans le futur traité de l’UE: dix millions de personnes bénéficiant des droits civiques pourraient faire aboutir une initiative constitutionnelle européenne. Ils légitimeraient ainsi cette transition du traité à la constitution une pleine légitimité et en fixeraient les conditions et les valeurs. Selon cette évidence: la démocratie n’est pas seulement un but; elle est aussi, en premier lieu et de façon décisive, un chemin.
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