12 mai 2005

Le Temps

L'initiative qui veut interdire les minarets provoque la colère d'internautes arabes

ISLAM. Le site internet d'Al-Jazira déforme les propos du comité anti-minarets en soulignant que des extrémistes suisses veulent interdire la construction de mosquées. Des musulmans évoquent du coup un éventuel boycott des banques suisses.

Valérie de Graffenried, Collaboration: Myret Zaki

Photo: keystone
Sur le site d´Al-Jazira, des réactions contre l´initiative d´Ulrich Schlüer

L'initiative anti-minarets de l'UDC Ulrich Schlüer et de ses acolytes ne fait pas des vagues qu'en Suisse. Al-Jazira, la «CNN arabe», en a récemment parlé en de mauvais termes sur son site internet. Et certains de ses internautes imaginent de boycotter les banques suisses si l'initiative passe. Voilà qui n'est pas sans rappeler l'émotion soulevée par les caricatures de Mahomet, qui avaient choqué les musulmans et mis une partie de la rue arabe en ébullition. Les médias Al-Hayatet Al-Arabiya se sont aussi inquiétés du débat embryonnaire en Suisse.

«Une déclaration de guerre»

Une polémique serait-elle en train de naître? Le conseiller national Ulrich Schlüer ne s'en émeut pas. «Al-Jazira affirme que la Suisse veut interdire des «mosquées ou la pose de symboles religieux islamiques sur des bâtiments», ce que nous n'avons jamais dit! Nous sommes contre les minarets que nous considérons comme un symbole politique de conquête, mais pas contre les mosquées, car nous respectons la liberté de culte», affirme-t-il, énervé.

Lui aussi a pourtant tendance à grossir les traits quand il évoque la «menace de l'islam». Ulrich Schlüer ne cache d'ailleurs pas qu'il a une dent contre Al-Jazira. Il a récemment interpellé le Conseil fédéral et demandé sa réaction à l'annonce de Cablecom de diffuser la chaîne financée par les gouvernements arabes, «bien qu'il soit notoire qu'elle s'est rendue coupable des pires violations des Conventions de Genève en diffusant à plusieurs reprises et en direct l'exécution ou l'égorgement d'otages innocents».

Expliquer le système suisse

Sur son site, Al-Jazira insiste notamment sur les termes «déclaration de guerre». Une référence à des propos tenus par le conseiller national UDF Christian Waber. Membre du comité d'initiative, ce dernier a déclaré devant la presse helvétique que «l'islam n'est pas seulement une religion, mais surtout une déclaration de guerre au monde chrétien en particulier, au monde pratiquant une autre foi que la foi musulmane en général». Il a ajouté que l'islam menaçait la paix des religions en Suisse. En revanche, le journaliste d'Al-Jazira Tamer Aboul Enein explique bien le large front qui s'oppose à l'initiative et met en garde contre ses dangers.

Pour le conseiller national socialiste Andréas Gross, l'exagération d'Al-Jazira qui parle d'«interdiction de mosquées», et surtout certains commentaires virulents postés à la suite de l'article ne font que refléter comment l'UDC réagirait si des pays étrangers voulaient supprimer la construction de clochers en Suisse. «Les extrêmes agissent ainsi. Notre rôle est de faire comprendre calmement que dans un pays avec des valeurs démocratiques, une telle initiative avec des relents xénophobes peut être lancée, mais qu'il y a suffisamment de forces pour s'y opposer», souligne le Zurichois. Les ambassadeurs de Suisse dans les pays arabes, ajoute-t-il, doivent prendre le temps de bien expliquer le système politique suisse, pour éviter tout malentendu. «Car, finalement, ce qui a contribué à enfler la polémique dans l'affaire des caricatures de Mahomet, c'est l'attitude inadéquate du premier ministre danois», souligne Andréas Gross. «Le gouvernement doit donc clairement expliquer les choses.»

Un risque d'exploitation

Même réaction chez Hasni Abidi, qui dirige le Centre d'études et de recherche sur le monde arabe à Genève. «Dans le monde arabe, on peut croire que l'initiative sera forcément appliquée, même si Al-Jazira explique qu'elle n'émane pour l'instant que d'un groupe de la droite dure. Il y a risque de confusion. Et surtout d'exploitation par des groupes extrémistes», insiste le politologue, un brin inquiet de la tournure que pourraient prendre les événements. «La diplomatie doit agir. Elle ne peut pas rester silencieuse, il y a un travail d'explications à faire pour éviter que les choses ne s'enveniment.» Pour l'instant, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) reste muet sur ses intentions vis-à-vis des médias. Car il s'agit de ne pas verser inutilement de l'huile sur le feu.

Le libéral Jacques-Simon Eggly, lui, s'interroge: comment Al-Jazira peut-elle s'offusquer d'une initiative lancée en Suisse contre les minarets sans être choquée par le fait qu'il est interdit de construire des églises dans des pays comme l'Arabie saoudite? Une position que rappelle régulièrement le vice-président de l'UDC, Yvan Perrin. Jacques-Simon Eggly: «Oui, mais si je m'insurge contre cette non-réciprocité, je n'en fais pas un casus belli. Et je combattrai l'initiative d'Ulrich Schlüer, même si je trouve que l'idée de passer un contrat d'intégration avec les musulmans et des immigrés d'autres cultures est une bonne idée.»

L'initiative d'Ulrich Schlüer semble même provoquer des divisions au sein même de son parti. L'UDC devrait officiellement décider de la soutenir le 30 juin. Mais la Bernoise Ursula Haller affirme déjà qu'elle ne l'appuiera pas. Le président du parti, Ueli Maurer, bien que convaincu par la revendication, serait, lui, sceptique quant à sa mise en œuvre. Car elle risque de soulever des problèmes juridiques. «C'est vrai», souligne Yvan Perrin. «Nous en parlerons plus tard. Pour l'instant, ce qui est important, c'est l'électrochoc qu'elle va provoquer. Le monde politique doit ouvrir les yeux: la question de l'intégration des musulmans doit être abordée de front». Il se déclare satisfait de constater que les musulmans laïcs «commencent enfin à sortir du bois, ce qui évite de voir toujours les mêmes, pas vraiment représentatifs, apparaître dans les médias». Il ajoute que, de toute sa carrière politique, il n'a jamais reçu autant de demandes pour des feuilles de signatures.


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