18. Oct. 2006
Le Temps
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Andreas Gross: «Nous avons une responsabilité éthique vis-à-vis de l'Afrique»
Les propos tenus par Christoph Blocher sur l'Afrique le 14 septembre dernier devant la Commission des institutions politiques du National étaient-ils méprisants et racistes? C'est en tout cas l'avis de son président Andreas Gross (PS/ZH). Lundi, le Département fédéral de Justice et Police s'est empressé de souligner dans un communiqué que le ministre UDC n'a jamais prétendu que les Africains étaient «paresseux». Mais que, oui, il a exprimé sa perplexité face à la politique de développement sur le continent africain et souligné que «laisser l'Afrique se débrouiller seule était aussi une possibilité envisageable». Qu'en pense sur le fond Andreas Gross?
Valerie de Graffenried
Le Temps: Christoph Blocher n'est pas le seul à remettre en question l'aide à l'Afrique. Admettez-vous vous aussi qu'il y a un problème?
Andreas Gross: Le problème ne se situe pas qu'au niveau de l'aide au développement: ce sont l'ensemble des relations entre l'Europe et l'Afrique qu'il faut repenser. L'Afrique est un continent oublié, qui a beaucoup souffert à cause de l'Europe par le passé, et ce qui m'a particulièrement choqué dans les propos de Christoph Blocher est qu'il a totalement atténué, minimisé la responsabilité des pays européens.
Une «responsabilité» qui doit se traduire comment selon vous?
L'an dernier, le ministre britannique Gordon Brown a déclaré lors du sommet du G8 en Ecosse que la pauvreté de l'Afrique était une honte pour l'Europe et qu'il est de notre devoir d'agir. Il a proposé d'annuller la dette des 18 pays les plus pauvres de la planète, presque tous des pays africains. Je trouve cette initiative très bonne. Mais la Suisse ne veut pas participer pas à cet effort commun. Nous avons pourtant une responsabilité éthique vis-à-vis du continent africain. L'aide doit aussi passer par exemple par l'abaissement de certaines barrières commerciales. L'UE fait beaucoup de coopération au développement, mais envoie en même temps des poulets subventionnés au Nigeria, ce qui détruit le marché local. Ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres (coton, matières premières etc. ...). Nous devrions aussi laisser les Africains développer leurs propres stratégies de développement pour éviter qu'ils soient constamment sous la tutelle des pays industrialisés.
Vous touchez là un point important. L'écrivain Stephen Smith déclare que l'Afrique «se complaît dans un autisme identitaire» et profite de son statut de victime. Un avis que vous partagez?
Ce discours est valable pour tous les pays du Sud et de l'Est qui sont dans la misère. Beaucoup ont tendance à désigner les autres comme uniques responsables de leur situation. Ils doivent certes apprendre à s'en sortir eux-mêmes, mais tenir ce discours simpliste, adopté notamment par Christoph Blocher, ne suffit pas.
Stephen Smith va jusqu'à qualifier l'aide au développement de «poison». Selon lui, elle pervertit les structures politiques de l'Afrique. Faudrait-il supprimer l'aide au développement pour ne faire plus que de l'aide d'urgence?
Non, ce n'est pas la solution! La coopération au développement est nécessaire. La Suisse respecte depuis longtemps le fameux proverbe chinois selon lequel ils ne faut pas donner des poissons, mais apprendre aux gens à pêcher pour les trouver eux-mêmes. La coopération suisse est très bien évaluée au niveau international et depuis longtemps notre aide ne touche plus les élites corrompues. Mais les 400 millions par année que la Suisse consacre à l'Afrique ne sont qu'une toute petite contribution à l'éradication de la misère. La Suisse devrait s'inspirer des pays scandinaves et Pays Bas et Luxembourg qui consacrent près de 1% de leur PIB à la coopération au développement, dépassant ainsi les exigences de l'ONU. La Suisse arrive à peine à 0,4%, malgré certaines manipulations statistiques. Le déferlement continuel de migrants africains désespérés sur les côtes canariennes est une honte pour toute l'Europe. Dans cinquante ans, nous devrons nous excuser de ne pas avoir su empêcher cela.
Quelles sont finalement vos solutions pour que l'aide à l'Afrique soit plus efficace?
Je ne prétend pas connaître les recettes miracles. Mais je trouve notamment que la Suisse doit participer davantage aux efforts communs. En Suisse, chaque vache est subventionnée à hauteur de 1000 francs, alors que 10 Africains ne reçoivent même pas 100 francs d'aide quand ils se trouvent dans la misère. Absurde, non? Si toutes les pays industrielles laissent tombé leurs restrictions contre des produits africaines ceux la gagnant plus que toute l’aide au développement que l’UE donne aux africains ...
Ce débat sur l'aide au développement surgit alors que le peuple se prononcera en novembre sur le «milliard de la cohésion». L'aide à l'Est est-elle mieux gérée que l'aide à l'Afrique?
Attention! Le milliard ne doit pas être perçu comme de l'aide au développement. Il s'agit d'une contribution nécessaire aux nouveaux pays de l'UE puisque nous avons déjà profité massivement des investissements énormes de l'UE dans le Sud de l'Europe en multipliant les exportations vers ces pays. On doit donc percevoir ce «milliard» comme une petite compensation de ce dont nous avons déjà profité. Nous en profiterons d'ailleurs aussi. Je ne serais pas étonné que Christoph Blocher ait volontairement voulu lancer ce débat sur l'aide à l'Afrique pour rendre l'objet de la votation du 26 novembre plus flou. Ne perdons nous pas dans la confusion et résignation voulue par quelques et rassemblons nous pour trouver ensemble que personne sait déjà des maintenant: Une perspective solidaire avec les africains qui permet à eux de trouver une avenir autodéterminé et à nous de nous regarder chaque matin dans le mirroir sans avoir honte.
Andreas Gross
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