26. Juin 2006

La Brique, Mulhouse

Andreas Gross: sa patrie,
c'est la démocratie directe


Par André Meyer

Conseiller national au parlement fédéral, à Berne, depuis 1991, comme élu du parti socialiste, membre de la délégation suisse au Conseil de l'Europe, à Strasbourg, pour lequel il a notamment enquêté sur les prisons cachées de Tchétchénie, Andreas Gross, électron libre de la scène politique suisse, et intellectuel bilingue, aussi érudit qu'indépendant, chargé de cours dans les universités de Berne, Lausanne et Speyer (Allemagne), se ressent, nous confie-t-il, un peu comme étranger dans son propre pays, la Suisse. Rien d'étonnant. Il est né au Japon, à Kobe, en 1952, et y a passé sa prime enfance, jusqu'à l'âge de sept ans. Son père, chimiste, y travaillait pour le compte de l'un des grands de la chimie bâloise, Sandoz. En 1960, sa famille revient à Bâle. Le jeune Andreas y suit sa scolarité jusqu'à la maturité, avec de fréquentes escapades à Saint-Louis, dans le voisinage français, où son grand-père maternel, Hans Meyer, était directeur de l'usine Haefely, fabricant d'isolants électriques. Il aime aussi y retrouver sa grand-mère américaine. Avec son père, il découvre adolescent, les sports automobiles, rencontre à Saint Ursanne Jo Siffert, le célèbre pilote suisse qui devait périr en course. Au cours d'un séjour à l'hôpital de Bâle, il est voisin de chambre du mythique entraîneur du FC Bâle, Helmut Benthaus, homme de grande culture, qui lui transmettra une certaine expertise d'un autre sport très populaire, le football. Ces expériences lui serviront plus tard pour gagner sa vie, pendant les années de faculté. Il étudie à Zürich l'histoire, à Lausanne, les sciences politiques (qui comprend le droit constitutionnel). Et, parallèlement, il est journaliste de sports, collaborateur de différents titres de Suisse alémanique, de magazines d'Europe, spécialisés en sports mécaniques, de la Radio DRS. Brillant étudiant, il devient, par la suite, maître assistant à l'Université de Berne, en droit constitutionnel, et à celle de Lausanne, pour la sociologie du travail, les médias et la culture. Ses progrès en français, rappelle-t-il, amusé, ont été très rapides, «à partir du moment où j'ai décidé de n'avoir plus peur de faire des fautes.» Aujourd'hui, Andreas Gross se moque comme de ses premières chaussettes, de l'orthographe incroyablement fantaisiste du français, mais est parfaitement à l'aise dans l'oral de la langue de Voltaire.

S'il se considère par son histoire personnelle, Suisse atypique, c'est que sa vraie patrie est en réalité ailleurs. L'écrivain genevois, Georges Haldas, de mère suisse et de père grec, aime à dire que sa vraie patrie, c'est la relation humaine. Pour Andreas Gross, sa patrie de coeur et d'engagement, c'est la démocratie directe. à ce modèle d'organisation de la vie en société, où le pouvoir de décision est partagé entre tous les citoyens, il consacre l'essentiel de son énergie depuis les années universitaires. Non seulement comme objet d'études approfondies et comparatives, mais aussi comme avancée citoyenne à mettre en ouvre dans la Suisse d'aujourd'hui et ailleurs.

S'inspirant des ateliers indépendants américains, il fonde à la fin des années quatre-vingt, à Zürich, son propre atelier de démocratie directe. Et organise, en quelque sorte, des travaux pratiques, comme cheville ouvrière de l'initiative «Pour une Suisse sans armée». Le vote, en 1989, provoquera un vrai séisme dans la Suisse traditionnelle: plus de 35% des électeurs suisses l'approuveront et deux cantons lui donneront même la majorité: Genève et le jeune canton du Jura.

Très proche émotionnellement du dernier né des cantons de la Confédération helvétique, qui a pu s'émanciper de la tutelle bernoise, grâce à une large mobilisation populaire, et dont il a suivi de près les luttes, Andreas Gross décide, après la votation populaire de 1989, de transférer son «Atelier pour la démocratie directe» dans le Jura, à Saint Ursanne.

Il y avait aussi des raisons très pratiques à ce choix. Les 7'000 livres sur la thématique de la démocratie directe, de l'utopie et de l'intégration de l'Europe, qu'il avait accumulés depuis ses années d'études, demandaient de plus en plus d'espace. Or, à Zürich, les loyers sont très élevés. à Saint Ursanne, le prix de l'immobilier est bien plus modéré, et l'opportunité s'y présentait d'y acquérir, avec l'aide d'un ami, une maison spacieuse et bien située. Saint Ursanne, dans le Clos du Doubs, n'est pas seulement un bourg chargé d'âmes et d'histoire, paisible, propice à l'étude, mais aussi une halte des chemins de fer. D'où l'on peut rayonner aisément dans toute la Suisse, et gagner les correspondances pour le monde entier.


Andreas Gross



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