29. Sept. 2004
28. Juni 2005


La Fonction publique
(journal syndical)

«Le futur du Jura passe
décidément par le passé du Sud»


Le destin d'Andreas Gross ou la trajectoire d'un indépendant

Après l'obtention de son bac en 1972, le bâlois Andreas Gross ne cessera d'être indépendant et trouvera toujours le moyen de vivre de son activité intellectuelle. Il travaille tout d'abord comme journaliste sportif couvrant des courses automobiles! Il financera entièrement ses études en histoire à Zurich et en politologie à Lausanne. La démocratie directe devient très rapidement son principal objet d'études, notamment grâce à l'enseignement du professeur français Georges Haupt. Cheville ouvrière du GSSA (groupe pour une Suisse sans armée) et de la fameuse initiative "Pour une Suisse sans armée" dont le résultat fut un véritable électrochoc pour la classe politique suisse (plus de 35% de oui), il entre au parlement fédéral en 1991. Chercheur indépendant, Andreas Gross partage principalement son temps entre le parlement et le Conseil de l'Europe. Il est également chargé de cours à l'université de Speyer, en Allemagne. Cet intellectuel de premier ordre nous a gratifiés d'un premier entretien à Berne, le 29 septembre 2004.
Entretien avec Andreas Gross

Dans ce premier entretien, le conseiller national socialiste zurichois Andreas Gross, politologue et historien, spécialiste de la démocratie directe, nous parle du Jura et de la politique fédérale.

Propos recueillis par Daniel Balmer et John Vuillaume

Un atelier de démocratie directe situé à St-Ursanne

En quoi consiste l'atelier de démocratie directe que vous animez? Est-ce un hasard s'il est situé à St-Ursanne?

Andreas Gross: L'atelier de démocratie directe rassemble sur deux étages d'une belle maison acquise à St-Ursanne une grande bibliothèque politique que je constitue depuis mes années d'études et que je pense léguer au canton du Jura. A l'heure actuelle, c'est un centre scientifique. Nous avons par exemple accueilli dernièrement une délégation de Taïwan et organisé un séminaire sur la démocratie directe.

C'est lors de mes recherches comparatives que je me suis inspiré des ateliers indépendants américains pour fonder le mien, consacré à la démocratie directe, à Zurich à la fin des années 80. J'ai gagné un concours du canton de Zurich dans le cadre des célébrations de 1291. Mais mon idée de train pour apprendre la démocratie directe restera un projet. Après la votation de 1989 où j'avais posé la désobéissance civile comme un principe de la démocratie directe, le Conseil d'Etat zurichois retrancha 50'000 francs des 100'000 qui m'avaient été alloués. Malgré un groupe de soutien qui réunit plus que les 50'000 francs retirés, le train de la démocratie directe, trop onéreux, ne vit jamais le jour. L'argent permit néanmoins la mise sur pied d'une exposition itinérante que l'on put visiter dans 25 endroits différents. Elle sommeille actuellement dans les caves de la maison de St-Ursanne. Mes livres s'accumulaient et les appartements à Zurich étaient trop chers pour projeter une extension. Une copine me donna l'idée de m'installer à St-Ursanne, où les loyers sont bien meilleur marché qu'à Zurich. Je possédais déjà un attachement émotionnel pour le Jura et St-Ursanne en particulier. Mon père m'avait emmené en 1966 à la course de côte des Rangiers, admirer le très populaire Jo Siffert. J'ai suivi pas à pas le combat qui aboutit à la création du canton du Jura et Roland Béguelin était un ami. La conscience politique progressiste caractéristique des Jurassiens me convient parfaitement. La beauté et la tranquillité des lieux ont aussi joué un rôle dans mon installation dans le Clos du Doubs. Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si mon domicile principal se situe actuellement à St-Ursanne.

Le Jura entre utopie et réalité

Dans un article paru dans "Jura Pluriel" (no 47), vous sembliez optimiste pour l'avenir culturel de ce coin de pays. Quelles sont vos idées en la matière?

Tant pour la réunification ou reconstruction du Jura historique que pour le développement économique du pays, via les diverses cultures, je crois qu'il faut oser l'aventure de l'ouverture à l'autre, renouer avec les rêves d'utopies, modifier le réel en découvrant d'autres idéaux. Deux mots, pour l'aspect culturel. La lutte pour l'indépendance avait créé une émulation formidable - au sens premier - trop vite retombée avec la normalisation, helvétisation du pays rebelle.

Le canton bénéficie d'un atout majeur: une nature remarquable propice à la réflexion. Il pourrait convier dans ces lieux des artistes, des chercheurs de lendemains, dans tous les domaines, pour échanger entre eux et avec les populations, les fruits de leurs cogitations.

Avec un ami, par exemple, qui a racheté une ancienne usine à St-Ursanne, nous avons accumulé une importante bibliothèque concernant l'histoire politique et sociale, particulièrement spécialisée dans tout ce qui concerne la démocratie directe et ses avatars dans l'histoire. Immédiatement et pour un temps que je souhaite assez long, j'aimerais ouvrir ce centre de documentation et de réflexions aux chercheurs d'avenir, réanimer les rêves d'utopies d'un pays fertile. « ;Jura, pays ouvert» ;, malgré l'incident de parcours. Pourquoi cet échec, ce désaveu? Certes, il y a eu le débat idéologique concernant le statut de la fondation, certes il y a eu une polarisation contre un parti sûr de lui et dominateur, qui s'était identifié à ce projet-programme, certes il y a eu la volonté de gifler la figure de proue du canton, Jean-François Roth, trop ou mal médiatisée, mais il y a un autre problème politique plus fondamental, à mon avis.

Il aurait fallu, comme le préconisait Yves Petignat, naguère porte-parole du Gouvernement, organiser des Etats-Généraux dans tout le pays, et permettre à la base de s'exprimer et de déposer ses doléances et ses suggestions, pour l'avenir de l'aventure jurassienne. Cette pratique de cogestion a été écartée au profit d'un paquet mal ficelé, imposé d'en Haut, à un peuple, en l'occurrence très peu souverain. La démarche proposée par le journaliste du "Temps" Yves Petignat aurait renoué avec le passé libertaire du Sud. Pensons à Guillaume, à Schwitzguebel, à Kropotkine, à l'Internationale de St-Imier, au syndicalisme autogestionnaire de Constant Meuron et de ses camarades de la vallée. Que de souvenirs riches de potentialités. Le futur du Jura passe décidément par le passé du Sud.

Pourquoi cette dérive autoritaire? Les Jurassiens sont très liés aux voisins français, comme Chevènement, modèle de jacobinisme. Si le combat a créé une remarquable émulation intellectuelle et artistique, il a impliqué des structures politiques du mouvement très hiérarchisées, pour viser à l'efficacité.

Dans un article paru il y a 17 ans dans le "Tagi", je m'étais entretenu à ce propos, en toute franchise, avec Béguelin, Lachat, Schaffter, Cuttat et Voisard. J'ai conservé un très bon souvenir de cette joute. La raideur bernoise imposa l'inflexibilité jurassienne, déclarait Roland Béguelin, qui avait sans doute raison, mais cet esprit a perduré plus que de raison, après le plébiscite. Quelques souvenirs sur ce grand personnage. Je l'ai connu, dès la création du GSSA (groupement pour une Suisse sans armée), militant de la première heure. Ce qu'on peut certainement lui reprocher, c'est sa vision ethnocentrique de l'histoire, conception plutôt mal famée par les temps qui courent.

Le ministre Roth a lâché dans la presse, ces jours, que le Jura n'a plus de rêves. Ce pessimisme n'est pas partagé par toutes les Jurassiennes et Jurassiens que je connais. Ils ont d'autres fantasmes que de se lover dans la mollesse de Dame Helvétie. Le retour du Jura est éminent. ("On voit parfois rejaillir le feu de certains volcans qu'on croyait éteints" ndlr).

Le monde politique suisse en crise

Depuis plus d'un siècle, le parti socialiste stagne entre 20 et 25% de l'électorat. Pourquoi cette proportion si faible en regard de nos voisins?

Ce sont les concentrations industrielles, souvent autour des villes, telle la Ruhr en Allemagne, basées sur le charbon et l'acier, qui ont permis le développement d'une conscience de classe, et donc l'émergence de partis socialistes forts. En Suisse, l'industrialisation s'est déroulée au fil de l'eau, dans les campagnes. Aucune région n'a été dominée par une entreprise. Dans les campagnes, la suprématie conservatrice et religieuse fut trop peu contestée pour être sensiblement affaiblie.

Certains scrutins ont fait clairement apparaître une déconnexion entre l'électorat helvétique et le monde politique. Comment combler le fossé entre pays réel et pays légal?

Mon analyse est plus nuancée et plus profonde. Politiquement, ce ne sont pas les pays réels qui sont en crise. Les diversités de la population suisses sont telles que l'on ne peut pas parler d'un seul pays réel. Mais c'est le système politique qui connaît de graves difficultés. Le fossé est l'expression du problème, pas ses causes. En Suisse, ce ne sont pas toujours les mêmes 50% qui votent. Chaque objet fait voter les catégories de la population qui se sentent concernées. L'éducation politique en Suisse est bien plus élevée qu'ailleurs en Europe. C'est donc du côté du monde politique qu'il faut chercher le malaise. Celui-ci provient de l'effondrement du centre, qui glisse de plus en plus vers l'UDC. Trop opportunistes, les partis du centre votent au parlement des mesures qu'ils ne cherchent pas à promouvoir auprès de leur électorat: le cas des dernières votations sur les naturalisations facilitées en est la parfaite illustration.

A mon avis, et cela devrait se décider avant les élections, le centre doit choisir de gouverner soit avec l'UDC, soit avec le PS. Un véritable consensus entre UDC et PS est impossible, il faut être clair à ce sujet. Mais cette question n'intéresse pas les élus du centre qui préfèrent naviguer à vue entre les deux grandes forces antagoniques de la politique helvétique. Les parlementaires n'ont d'ailleurs que rarement l'envie de parler des problèmes de fond, comme la mainmise de la pensée unique, économique, qui entre souvent en contradiction avec la pensée politique qui n'est plus valorisée pour elle-même.

... (suite) ...

Le député socialiste zurichois Andreas Gross nous a accordé un second entretien sur des sujets d'actualité touchant la Suisse et l'Europe. La Fonction publique l'a rencontré à Berne, au Palais fédéral, le 28 juin 2005. Avec évidemment toujours le même plaisir d'écoute et d'échange avec un des intellectuels helvétiques parmi les plus brillants de sa génération. Chargé de cours dans deux universités allemandes, il souhaite enseigner en Suisse la démocratie directe comparée, tout particulièrement aux étudiants en droit de l'Alma mater neuchâteloise. Nous ne pouvons qu'espérer que les futurs juristes de l'Arc jurassien puissent rapidement bénéficier des lumières d'un pédagogue érudit, ouvert, enthousiaste et engagé.
La Suisse et l'Europe face à la crise de l'Etat-nation

Lfp: Notre démocratie est-elle mise en danger par les lobbies qui imposent largement leurs vues au parlement fédéral?

Andreas Gross: il faut tout d'abord préciser que la démocratie directe constitue un moyen de lutte contre la domination des intérêts particuliers, et donc des lobbies. Elle est une arme des citoyens pour défendre les intérêts généraux. Ceci dit, il est vrai que les lobbies sont très forts en Suisse. En effet, notre parlement de milice dispose de trop peu de ressources pour être autonome. Cet état de fait concerne les partis et les politiciens. La femme ou l'homme politique helvétique est très facilement "achetable".

De plus, les parlementaires travaillant correctement leurs dossiers sont peu nombreux. Celles et ceux qui ne remplissent pas leurs fonctions ont toujours l'excuse de travailler pour un salaire en-dehors de l'institution fédérale.

La démocratie directe serait plus forte si les partis et les politiciens bénéficiaient de davantage de ressources. En démocratie directe, un parlement fort n'affaiblit pas le pouvoir du peuple. Par contre, la démocratie indirecte, représentative, est menacée par les lobbies. Face à des lobbies bien organisés, la parade passe par le renforcement des partis politiques. Mais la Suisse n'a pas l'habitude d'investir dans la démocratie, elle qui baigne depuis sa création dans une ambiance très libérale.

J'ajouterai enfin que la transparence concernant les mandats externes des politiciens semble malheureusement encore très relative, notamment en ce qui concerne les intérêts du lobby nucléaire et de l'industrie chimique.

Notre modèle de démocratie directe (droit d'initiative et de référendum) n'est-il pas condamné par l'histoire? Les apparences ne sont-elles pas trompeuses et ne vit-on pas, comme d'aucuns le prétendent, sous une "dictature bureaucratique"?

Je crois au contraire que la démocratie directe a un bel avenir devant elle. Elle organise la politique de façon très moderne. Elle respecte l'individu et ses capacités. On redonne souvent la souveraineté aux citoyens. On ne peut ignorer la volonté du peuple en démocratie directe. Et la complexité des débats ou des votations ne pose aucun problème: c'est finalement en s'appuyant sur leurs valeurs que les citoyens concernés se partagent les décisions. La démocratie directe met à profit la richesse et la diversité de la société. La démocratie est synonyme de partage du pouvoir. Elle est donc la meilleure arme contre la domination bureaucratique. "Le pouvoir te donne l'opportunité de ne pas devoir apprendre": en Suisse, le pouvoir est trop partagé pour que quelqu'un puisse s'arroger ce privilège. En démocratie directe, on écoute ses interlocuteurs, on ne les laisse pas seulement parler. Elle renforce la capacité de la société à apprendre. Mais le système de milice n'est plus adapté à notre temps. Il y a 30 ans, on pouvait cumuler une charge publique importante et un poste à responsabilités dans le secteur privé. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La Suisse doit mieux rémunérer les citoyens engagés dans les exécutifs et les législatifs.

La Suisse subit actuellement de plein fouet la révolution conservatrice qui a déjà fait des ravages aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne notamment. Dans ce contexte, après les déclarations inquiétantes de Hans-Rudolf Merz, Christoph Blocher et Pascal Couchepin, le parti socialiste ne serait-il pas plus crédible en-dehors du gouvernement? En d'autres termes, combien de couleuvres le groupe parlementaire socialiste va-t-il encore avaler?

La Suisse est-elle bouleversée par une révolution conservatrice? Je crois avant tout que notre pays vit une époque de transition douloureuse. Le glorieux passé n'est plus et l'avenir paraît bien incertain. Nous vivons la crise de l'Etat-nation en Suisse. Mais une majorité de Suisses continuent à penser que tout seuls, nous pouvons faire mieux que les autres. Une grande incertitude plane sur les fondements de l'avenir: quel espace remplacera l'Etat-nation? Cette question est centrale aujourd'hui en Suisse. Et en Europe aussi. Les tendances libérale et de gauche s'affrontent. A mon avis, la gauche n'a pas suffisamment et ouvertement affirmé que les acquis sociaux ne pouvaient être défendus qu'au niveau européen: ce n'est plus possible de le faire au niveau national. Pour la gauche, le marché a besoin de règles.

Entre 1945 et 1990, la Suisse a ignoré les questions liées à la crise de l'Etat-nation. La Suisse est maintenant dépassée par l'ampleur des changements et des évolutions en cours. Et quand les gens ne sont pas formés à affronter le changement, qu'ils ne comprennent pas la situation, ils refusent, ils disent non. L'UDC regroupe la petite bourgeoisie qui a peur et les ultralibéraux, anti-étatiques et très riches.

Il faut distinguer Blocher, Merz et Couchepin. Blocher veut liquider l'Etat, le réduire à la police et à l'armée. Merz fait le dur apprentissage d'homme de gouvernement. Il a largement sous-estimé les exigences et les responsabilités liées à la direction des affaires publiques. Son mûrissement politique pourrait s'avérer constructif. Quant à Couchepin, il apparaît comme un "gaulliste" aux yeux des Suisses allemands. Il fait sienne la notion de responsabilité étatique pour défendre la cause publique et les gens défavorisés.

Je suis pour un gouvernement de concordance, sans l'UDC. Le centre devra choisir entre les socialistes et les démocrates du centre pour gouverner la Suisse. J'envisage la possibilité d'une petite coalition entre les socialistes et les radicaux et démocrates chrétiens éclairés. Une majorité peut clairement se dessiner. Un gouvernement socialiste est exclu dans notre pays. Des éléments du parti radical et du PDC doivent être intégrés. Je pense que lors des prochaines élections fédérales, les cartes seront redistribuées entre les partis bourgeois. Un nouveau centre se reconstituera autour d'un noyau radical et démocrate chrétien. Des PDC et des radicaux vont rejoindre l'UDC alors que des politiciens agrariens quitteront leurs rangs pour ceux du PDC ou du parti radical. Les contours du centre sont aujourd'hui encore trop flous, incertains; mais après une stabilisation des positions, le PS pourra chercher des alliances. Si ce scénario ne se réalise pas et que les trois partis bourgeois décident de s'allier, le PS ne pourra que constater sa mise à l'écart et devra en tirer les conséquences: une entrée dans l'opposition. Nous n'en sommes pas encore là mais tout reste ouvert.

Les concentrations syndicales sont à l'image de celles observées dans l'économie. Que pensez-vous de l'efficacité de ces regroupements syndicaux (bureaucratisation, professionnalisation, etc.)?

Le PS connaît une section autonome dans chaque village de Suisse: ce n'est pas toujours efficace, mais la mise en place et le maintien d'un tel tissu politique est aisé. La décentralisation et la diversité sont plutôt une richesse, pas une menace: elles nécessitent plus de coordination, mais l'efficacité est souvent bien réelle. Les grandes machines sont conservatrices par nature: trop de pouvoir est à défendre. Pour l'instant, les concentrations syndicales ne me posent aucun problème. Mais la gauche doit développer une autre image du militant que la droite: la concentration du pouvoir et l'efficacité à tout prix ne doivent pas façonner un nouveau militantisme de gauche. La gauche a besoin de tous ceux qui travaillent bénévolement. Cet engagement volontaire va de pair avec un plus grand respect de l'individu. Un certain professionnalisme peut côtoyer un militantisme dynamique.

L'armée suisse est malade. Adhésion à l'OTAN? Fin de l'armée de milice? Disparition pure et simple de l'armée? Qu'en pense l'ancien général du GSSA (groupement pour une Suisse sans armée)?

Une réforme est nécessaire: l'abolition du service obligatoire. Ce dernier n'est justifiable que si la sécurité du pays est directement menacée, ce qui n'est plus le cas à l'heure actuelle. Mais on a besoin de professionnels de l'armée, cependant pas à un niveau national. Sous l'égide de l'ONU, par exemple, des soldats professionnels peuvent accomplir des tâches essentielles dans des pays sans institutions ni autorités démocratiques. Je suis pacifiste mais pas naïf. La Suisse ne doit pas laisser le sale travail aux autres et conserver la seule diplomatie en se contentant de proclamer qu'elle défend avec ferveur de grands principes!

L'OTAN n'est quant elle qu'une organisation en déclin, symboliquement importante pour les ex-pays de l'Est, rempart indispensable et fiable à l'imprévisible empire russe. Les USA font en effet ce qu'ils veulent, avec ou sans l'aval de l'OTAN.

Est-il encore temps de relancer le débat sur l'adhésion à l'Union européenne ou les carottes sont-elles déjà cuites?

La question européenne reste au centre de la question politique en Suisse. Nous ne pouvons continuer à faire mieux que les autres tout seuls! En 1893, certaines personnes voulaient que la Suisse devienne le 51ème Etat américain. Aujourd'hui, une entrée dans l'Europe paraît plus souhaitable. Même à 30, on peut lancer un référendum populaire. Face à la globalisation du marché et ses menaces sur la nature, les liens sociaux, etc. il faut se fédérer, à tous les échelons.

La nouvelle Constitution zurichoise est par exemple la plus démocratique du monde. Chaque niveau a ses spécificités, mais une démocratie européenne qui fonctionne à 30 pays n'est pas une utopie.

Vous êtes souvent à l'étranger en tant qu'universitaire et comme parlementaire. Pouvez-vous nous parler de vos différents mandats internationaux?

Je suis chargé de cours dans deux universités allemandes depuis 12 ans. Mon enseignement porte sur la démocratie directe comparée. J'aimerais dispenser mon enseignement en Suisse et j'espère avoir la possibilité de donner des cours à l'Université de Neuchâtel. En effet, on m'écoute plus volontiers en Suisse romande qu'en Suisse alémanique.

Je fais partie depuis plus de 10 ans de la délégation suisse au Conseil de l'Europe, délégation que je préside depuis 2 ans. La Tchétchénie constitue la mission la plus impossible aujourd'hui en Europe. Mais le défi doit être relever. Je m'intéresse également à d'autres régions qui connaissent des développements politiques très inégaux. Elles me permettent de mettre en perspective le cas helvétique, où le partage du pouvoir avec le citoyen est un exemple qui marque les esprits dans les débats de politique internationale.

Des journalistes comme Jean-Claude Bührer et sa compagne, entre autres, dresse un bilan très négatif de la question des droits de l'homme dans le monde. Partagez-vous ce pessimisme?

Les droits de l'homme sont réellement universels. Mais il faut du temps pour que cette idée relativement récente, environ 200 ans, puisse triompher sur l'ensemble du globe! Les valeurs démocratiques sont en progression dans le monde, malgré toutes les exactions commises sur la surface de la Terre. Le processus démocratique est en marche un peu partout. Prenons l'exemple de la peine de mort abolie dans les pays de l'Union européenne: nous n'assistons pas à sa remise en question, mais à un approfondissement du débat. Aujourd'hui, ce sont les peines de prison très longue ou à perpétuité qui sont contestées: est-ce qu'une mort sociale sans appel est acceptable dans nos sociétés libérales avancées?

Je ne suis donc pas pessimiste parce que les droits de l'homme ne se sont pas imposés partout. Le processus est lent, mais il n'y a pas d'alternative. On ne peut instituer la démocratie par la force contre une majorité de la population d'un pays donné! J'estime néanmoins que certains dirigeants n'en font pas assez dans le domaine.

Un peu de science-fiction pour terminer: comment imaginez-vous le Jura et la Suisse à l'horizon 2025? Nouvelle Floride pour vieillards riches du monde entier? Pays parsemé de centres thermaux, de stations de sport et d'hôtels? Un havre de paix pour les nouveaux riches des pays émergents?

Je souhaiterais que la tradition libertaire du Jura Sud marque davantage le Jura Nord, soit comme partenaire, soit comme conjoint (Jura unifié).

Je ne pense pas que les cantons vont se spécialiser dans un nombre très limité d'activités économiques. En effet, les cantons suisses ne peuvent survivre que lorsqu'ils se partagent la production et le travail. Trop de spécialisation tuerait la Suisse.


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