24.09.2004
Le Temps
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Andreas Gross: «Nous assistons à une crise de la sphère publique en Suisse»
Spécialiste de la démocratie directe, le conseiller national Andreas Gross (PS/ZH) milite pour un soutien étatique aux partis et aux médias.
Propos recueillis par Stéphane Zindel, Berne
Le Temps: L'affiche Ben Ladin et l'annonce sur les musulmans devraient-elles être interdites?
Andreas Gross: Je crois à une certaine rationalité du citoyen. La bêtise pas plus que la démagogie ne sont en soi des raisons de promulguer des interdits. Le problème est la disproportion des moyens à disposition de part et d'autre. L'annonce sur les musulmans est omniprésente depuis des semaines. Dans l'autre camp, on a peu réagi. Le PRD et le PDC se plaignent ouvertement de manquer de moyens.
Est-ce seulement une question d'argent?
Non, mais dans ce domaine on pourrait changer les choses. Les partis, qui ont un rôle primordial à jouer en démocratie directe, sont à la merci d'Economiesuisse. Cette situation est indigne. Alors même que la Suisse est la seule démocratie directe en Europe, elle en est aussi le seul pays où l'Etat ne finance pas les partis. Peut-être faut-il des expériences douloureuses, détestables et honteuses pour que l'on réalise que l'on ne peut pas continuer ainsi. Jusqu'ici, tous mes efforts au parlement ont échoué, ne serait-ce déjà que pour introduire une certaine transparence. Aux Etats-Unis, on sait au moins combien d'argent est investi et par qui.
Que pensez-vous de l'appel commun des cinq partis favorables aux naturalisations facilitées?
Il intervient trop tard. Je ne crois pas qu'il atteindra la cible, à savoir cette frange de la population qui se sent déracinée, étrangère chez elle, qui a perdu tout repère politique et qui projette ses peurs sur les étrangers. L'efficacité de l'action peine à me convaincre aussi car elle s'inscrit dans un contexte de crise de la sphère publique en Suisse.
Que voulez-vous dire?
En France, si le philosophe André Glucksmann ou Jacques Chirac lancent une mise en garde publique contre le racisme par exemple, on les écoute. En Suisse, nous n'avons plus de personnalités capables de faire valoir de manière crédible une autorité morale. Les Frisch ou autre Dürrenmatt ne sont plus là. Les conseillers fédéraux ont perdu leur impartialité. Ils sont devenus des militants dans les campagnes de votations, afin de pallier la faiblesse des partis. Les médias sont aujourd'hui peuplés de vendeurs de saucisses. Les journalistes véritablement respectés ont disparu. En outre, il n'existe plus d'espaces pour convaincre. Les gens qui ne partagent pas la même opinion ne se rencontrent plus. Ou alors tout le monde est en mode émission, personne en mode réception. C'est le règne du dialogue de sourds.
Partagez-vous les critiques contre les médias qui ont publié l'annonce sur les musulmans?
Les journaux ont le même problème que les partis: ils manquent de moyens. Ils ont donc tendance à prendre ce qu'on leur offre. Je lutte en vain depuis cinq ans pour leur fournir une assise financière publique. Car la démocratie n'est pas une marchandise. Sa qualité dépend de la qualité du discours public.
Andreas Gross
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