0. April 2019

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 117

Le système libéral à nouveau proche de la fin


Récemment, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel a titré «Effondrement du système». Il traitait de la démocratie parlementaire britannique. Pour les journalistes du magazine de Hambourg, elle s’est effondrée parce qu’elle n’est plus capable de résoudre le principal problème du pays, le Brexit, en accord avec la majorité des citoyens.

Le Brexit, plébiscite organisé sans nécessité il y a bientôt trois ans par le premier ministre britannique pour sortir de l’Union européenne (UE), exprimait déjà la perte de légitimité d’une forme de pouvoir libérale: un État très affaibli au sein d’un groupement étatique au fonctionnement néolibéral n’offrait plus assez de liberté politique, de moyens de décision collective ni de sécurité sociale aux gens.

Il y a éxactement 150 ans un autre système s’était effondré dans le can­ton de Zurich, celui du 'roi des chemins de fer', Alfred Escher, champion du pouvoir libéral absolu. Pour l’Américain Gordan A. Craig, spécialiste de l’histoire européenne, cet effondrement représentait la fin de la do­mi­na­tion libérale en Europe. Le 'système Escher' a buté sur l’incapacité des libéraux à faire participer la majorité de la population – paysans, artisans et campagnards – à l’essor économique dont jouissaient les industriels privilégiés de la ville. Le 'système' – tant la haute finance que les barons des banques et des chemins de fer – se moquait des inégalités sociales croissantes, de la misère et du maintien de la majorité du peuple hors des institutions politiques dirigeants. Mais entre l’automne 1867 et le printemps 1869, la plupart des Zurichois se sont mobilisés quatre fois de manière si convaincante qu’ils ont réussi une révolution démocratique pa­cifique. Ils ont voté une constitution basée sur la démocratie directe, et créé de nouvelles institutions sociales afin de rééquilibrer les perspec­tives de vie et de rassembler toute la société.

Aujourd’hui, un système libéral semble à nouveau en fin de parcours. Libéral en ce sens qu’il supprime des institutions démocratiquement légitimes, veut renforcer autant que possible l’autonomie des marchés, affaiblit les instances favorables au bien commun et renonce aux mécanismes de compensation. À cet égard, l’hyperglobalisation de l’économie a exercé une pression énorme, en réduisant fortement le pouvoir de l’État et la démocratie nationale, et en remplaçant la primauté de la politique par celle des marchés. La conscience de ces libéraux économiques a évolué en conséquence. Ils voient aujourd’hui le pays comme un site économique et non plus comme une communauté entre les mains des citoyens. Pour eux, les impératifs économiques dominent, alors que les intérêts civiques ont pratiquement disparu. Ainsi, l’historien suisse Oliver Zimmer, qui enseigne à Oxford, constate que les élites libérales ne comprennent pas l’ignorance par beaucoup de citoyens, des considérations économiques dans les questions politiques centrales (Brexit, accord-cadre Suisse/UE, sécurité sociale, service public).

Toujours plus de gens remarquent que l’érosion politique et démocratique va contre leurs intérêts. Plus l’économie croit pouvoir modeler le monde selon ses propres règles, plus les besoins des faibles, de la nature et du bien commun sont oubliés. A ces observations, il faut juste ajouter qu’à l’heure de l’économie globale, que la démocratie ne peut être sauvée qu’en s’étendant au niveau international. L’économie internationale ne peut plus être maîtrisée au niveau national. Il lui faut pour cela gagner une nouvelle dimension démocratique transnationale - tout comme la démocratie représentative est devenue directe à Zurich il y a 150 ans.

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Gordon A. Craig était un historien américain d’origine écossaise, né
à Glasgow en 1913 et mort à Partola Valley (Californie) en 2005. Arrivé
à Toronto en 1925, il a étudié le droit dans le New Jersey, puis l’histoire
à Oxford et Princeton. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il a combattu pour l’armée américaine. Craig a été professeur à Princeton dès 1950, puis à Stanford (Californie) dès 1961. Aux USA, c’était l’un
des meilleurs connaisseurs de l’histoire allemande.

«
Durant le dernier tiers du 19e siècle, l’ère de la domination libérale sur la politique européenne a pris fin. (...) Sur le plan historique, le libéralisme était né comme conglomérat de diverses idées fondamentales développées par la bourgeoisie en lutte pour l’influence politique. (...) C’était une philosophie qui se nourrissait d’individualisme et d’opposition à toutes les limitations institutionnelles et juridiques de la liberté. (...)
Aux yeux des contemporains, le canton de Zurich présentait l’exemple
le plus dramatique de la crise de légitimité du libéralisme; le pouvoir
y a été arraché au puissant parti d’Alfred Escher, le système d’Escher(...) Beaucoup de gens avaient cessé de croire que le gouvernement (libéral) était en mesure de se contrôler lui-même. (...) Beaucoup ont pris conscience de leur pauvreté et des préjudices dont ils souffraient (...),
se sont révoltés contre 'le système' libérale (...) et ont réclamé
une démocratisation de l’État et de la société.
»

Extrait du dernier chapitre, La crise du libéralisme, de l’ouvrage
de Gordon A. Craig intitulé L’argent et l’esprit, Zurich au temps
du libéralisme, 1830-1869
(Munich 1988).


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