13. April 2019

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 116

Le langage politique clair
du «poète absolu» Carl Spitteler



L’écrivain suisse Carl Spitteler est un «poète au sens artistique absolu», selon le professeur Peter von Matt, sans doute le meilleur chroniqueur littéraire alémanique par son talent communicatif. Spitteler est le seul écrivain suisse de naissance qui a reçu le prix Nobel de littérature (1919). C’est pourquoi il a été célébré la semaine passée à Liestal (BL), sa ville natale, par le conseiller fédéral Alain Berset. Avec toutes ses «contradic­tions» apparentes, que Spitteler soulignait lui-même, comme l’a relevé le ministre de la culture avec plaisir et brio.

Toute sa vie, Spitteler a rappelé son athéisme durant ses études de théo­logie à la fin des années 1860 à Bâle et Zurich. Cet Alémanique se trou­vait à l’aise en Suisse romande comme à l’étranger, car il avait été pré­cep­teur privé à Saint-Pétersbourg puis professeur d’allemand à La Neu­ve­ville, au bord du lac de Bienne (1881-1885).

Au début de la Première Guerre mondiale, en 1914, Spitteler est parvenu à formuler un «point de vue suisse» dans un discours courageux, per­cu­tant et clairvoyant. Lui qui correspondait parfaitement à l’idéal (allemand) du poète planant au-dessus de la politique, a alors embrassé la diversité du pays comme peu de compatriotes avant lui. Selon les historiens, ce discours prononcé à Zurich a joué un rôle décisif dans le maintien de l’unité de la Confédération, alors déchirée entre communautés.

C’était un coup de maître politique pour un artiste qui a toujours voulu le rester. Il s’est ainsi révélé comme un auteur francophile, intellectuel en­ga­gé selon la meilleure tradition française. Spitteler a aussi rappelé à ses «frères» alémaniques à quel point leurs idéaux politiques et démo­cra­ti­ques étaient redevables aux Français et à leurs «frères romands». Il s’est par contre élevé contre le nationalisme et le militarisme allemands.

à Liestal, le conseiller fédéral Alain Berset a souligné la «remarquable contradiction» de Spitteler, ce poète qui se disait apolitique. Son discours de 1914 était «une critique, un plaidoyer passionné contre la prise de distance à l'intérieur même de la Suisse et pour la neutralité en tant qu'élément identitaire de notre pays», a-t-il dit. Selon le ministre de la culture, Spitteler «s'est rendu compte que la Suisse et sa cohésion nationale, parfois son existence en tant qu'État, étaient en danger.»

Par son discours, Carl Spitteler a transformé le principe de neutralité, imposé à la Suisse en 1815 par les puissances européennes, en une notion intérieure et extérieure de survie nationale.

Trente ans plus tôt, Spitteler avait déjà condamné dans un article de pres­se l’instrumentalisation «populiste» du peuple suisse. Cette inter­ven­tion, elle aussi très actuelle, montre également combien cet artiste large­ment oublié mérite d’être redécouvert aujourd’hui - aussi à cause de sa maîtrise politique.

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Carl Spitteler est un écrivain suisse né en 1845 à Liestal (BL) et mort
en 1924 à Lucerne. Il a étudié la théologie à Zurich, Heidelberg et Bâle, puis a enseigné notamment à La Neuveville. Par la suite, il a travaillé comme rédacteur et chroniqueur littéraire à la NZZ, et comme journaliste indépendant à Lucerne. Œuvres principales: Prométhée
et épiméthée
(1881), Printemps olympien (1905), Imago (1906).

«
Dans tous les États, surtout les républiques où le mot peuple a sa plus grande force, certains éléments croient pouvoir s’afficher comme le cœur de la nation, et des groupes s’imaginent être seuls à pouvoir se parer du titre de peuple. (...) (Ce serait) une erreur fondamentale de considérer n’importe quel attroupement comme 'le peuple' et n’importe quelle vocifération comme la voix du peuple. (...) Et nous rencontrons même dans nos républiques la tendance à regarder ceux qui dirigent, les fonctionnaires, comme les ennemis naturels du 'peuple'? (...) On envie
à ces Messieurs leur rang, leur notoriété, leur pouvoir et leur salaire fixe. Pour le leur faire payer, on cherche à leur rendre la vie aussi dure que possible. Fort bien, mais il faut leur laisser leur part du droit
au nom de peuple.
»

Extrait d’un article de Carl Spitteler paru le 5 mars 1886 dans des journaux alémaniques sous le titre Sur le peuple, et réédité en 2019 dans un recueil paru en allemand à Zurich (éd. Nagel&Kimche). L’auteur
n’a que très rarement exprimé des opinions politiques.


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