6. April 2019
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 115
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Malentendu à propos de référendum
La France n’est pas le seul pays à avoir du mal avec le référendum. Cet instrument semble être devenu diabolique et antidémocratique pour la moitié du monde. Beaucoup se fondent sur le Brexit, et le drame dans lequel se complaît le monde politique britannique depuis deux ans et demi. Pour eux, la démocratie directe est dans le meilleur des cas une erreur alléchante, dans le pire le fossoyeur de la démocratie. Ces adversaires de la démocratie directe voient même un rapport de causalité dans la hausse simultanée du nombre de référendums et des signes d’érosion de la démocratie. À leurs yeux, les référendums sont coupables du déclin de la démocratie.
La politologue américaine Katherine Collin a étudié ces théories, et les contredits dans une grande analyse empirique. En Europe surtout, la démocratie directe ne peut nullement être rendue responsable de l’essor du populisme et du déclin de la démocratie, écrit-elle. La poussée des populistes s’observe surtout dans les pays qui ne connaissent guère ou pas du tout d’instruments de démocratie directe. Pour ces mouvements nationalistes, le référendum n’aurait même guère eu d’effets. Katherine Collin: «L’essentiel de la politique contraire à l’État de droit s’est réalisé à coup de décisions parlementaires. En Suède, en France, en Italie et en Pologne, des partis populistes ont gagné des voix en l’absence de toute forme de démocratie directe. En Hongrie, le premier ministre antidémocratique a connu l’échec avec son référendum, tout comme un candidat populiste à la présidence en Pologne.»
Dans la partie méridionale de l’Afrique, les détenteurs du pouvoir ont abusé sept fois du référendum depuis l’an 2000 pour prolonger la durée de leur mandat. Des tentatives semblables ont eu lieu en Amérique latine, pas toujours avec le même succès. Mais il convient de distinguer soigneusement le référendum, respectivement la démocratie directe et les plébiscites. Le Brexit a été un plébiscite classique, décidé beaucoup trop hâtivement par le chef du gouvernement, avec des arrière-pensées et des intérêts politiques personnels, mais sans législation suffisante ni évaluation des conséquences.
Contrairement aux plébiscites, le référendum se fonde en démocratie directe sur une norme constitutionnelle, ou sur la volonté d’un nombre de citoyens et citoyennes également inscrit dans la constitution. Les plébiscites ont ainsi à peu près les mêmes relations avec la démocratie directe qu’un futur noyé avec un nageur. Tous deux agissent dans l’eau, mais le premier subit fatalement son sort, alors que l’autre fait souverainement son chemin. Les autocrates, les antidémocrates et les autres populistes apprécient donc les plébiscites. Au contraire, la démocratie directe leur est étrangère, généralement trop démocratique et exigeante, avec son partage bien plus large du pouvoir et la liberté garantie à tous les citoyens et citoyennes.
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Katherine Collin, 44 ans, a obtenu un doctorat en relations internationales à l’Université de Washington. Elle a été observatrice de divers scrutins avec l’ONU, notamment en Irak, Pakistan et Afghanistan. Elle travaille à un ouvrage sur les référendums créateurs de paix.
«
Sur le plan mondial, le déclin de la démocratie est allé de pair avec un nombre accru de votes populaires. Mais un rapport causal entre ce nombre croissant de consultations et le délitement graduel des démocraties n’a pas pu être établi à ce jour. (...) Il est donc douteux que les référendums soient la cause de l’érosion de la démocratie. (...) En Europe, les populistes se sont renforcés dans des pays sans démocratie directe. On peut même dire que le référendum est un mauvais outil pour faire triompher la politique des populistes.
»
Extraits des conclusions d’une étude de Katherine Collin parue en mars 2019. Elle a été publiée sous le titre Votes populistes et autoritaires; le rôle de la démocratie directe dans le démontage de la démocratie, par Brookings Institutions, laboratoire d’idées à Washington.
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