30. März 2019

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 114

Le 'malaise' de la démocratie


La politologue américaine Sheri Berman a publié un livre passionnant sur l’histoire de la démocratie en Europe. Cinq cents pages sur l’histoire d’une réussite, pourrait-on croire. Car, après 250 ans de révolutions, d’échecs, de guerres civiles, de contre-révolutions, de grèves, de mou­ve­ments citoyens, de protestations des femmes, de révoltes paysannes, ouvrières et de jeunesse, la démocratie a fini par s’imposer en Europe. Depuis 1991, il n’existe plus un seul Etat sur le continent – à part la Biélorussie – dont la constitution n’affirme pas que c’est une démocratie.

Pourtant, l’histoire de la démocratie en Europe n’est pas encore achevée, contrairement à ce que pensent certains, trop vite satisfaits. Car quel­ques années seulement après être apparemment parvenue à s’imposer sur tout le continent, la démocratie se trouve en péril. Les menaces viennent d’efforts autocratiques et oligarchiques puissants que l’on peut observer en Turquie et en Hongrie ainsi que de groupes et mouvements autoritaires nationalistes qui nient les droits fondamentaux et l’État de droit, intrinsèquement liés à la démocratie. De plus, la démocratie est remise en cause par des citoyens déçus. Ils aimeraient une meilleure démocratie, plus démocratique, capable de tenir ses promesses. La situation n’est pas plus réjouissante aux États-Unis.

C’est pourquoi Sheri Berman parle de 'malaise' de la démocratie pour caractériser la situation actuelle en Europe. Elle se porte mal, elle est faible, elle ne parvient ni à légitimer la politique ni à intégrer les gens. Mme Berman a aussi son avis sur la responsabilité de ce malaise: « À mon avis, ce sont avant tout les partis politiques et l’Union européenne (UE) qui sont responsables du malaise de la démocratie en Europe». Selon elle, les partis ont largement perdu leur implantation sociale et ne représentent plus guère les diverses composantes de notre société. «Les partis ne sont plus porte-parole des gens les plus défavorisés et ne s’en font plus les avocats.»

Pour ce qui est de l’UE, Sheri Berman aborde moins ses déficits démocratiques institutionnels, mais affirme: «L’UE a retiré durant les dernières décennies beaucoup de compétences aux élus politiques (nationaux) pour les faire siennes. Mais l’une des grandes forces de la démocratie, c’est que les citoyens peuvent remplacer les responsables de décisions désagréables par d’autres personnes aux prochaines élections. Mais au niveau de l’UE, cette responsabilité est beaucoup plus difficile à identifier. La relation entre les élections et les décisions est beaucoup moins directe. À mon avis, le transfert de compétences à l’UE a entraîné la perte de l’un des grands avantages de la démocratie: la capacité de corriger les fautes, d’exprimer des critiques et ainsi nourrir la relation 'magique' entre légitimité et effectivité des institutions.»

Du point de vue suisse, on peut remarquer que cette analyse joue aussi, surtout pour des sociétés qui ne se trouvent pas dans l’UE mais font partie par contrat de l’Espace économique européen. La conclusion de Sheri Berman s’applique également à la situation politique qui prévaut en Suisse: «Nous vivons l’érosion d’éléments et conditions essentiels de la démocratie. Cela mène à ce que beaucoup de gens se sentent oubliés, négligés et impuissants. Si les grands partis et les principaux hommes et femmes politiques ne prennent pas plus au sérieux les besoins et intérêts de ces gens, leur insatisfaction envers la démocratie va encore aug­men­ter, de même que la recherche d’alternatives radicales.»

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Née en 1963, Sheri Berman, la politologue américaine enseigne
à l’Université Columbia de New York, elle travaille principalement
dans l’histoire, les conquêtes de la démocratie, la social-démocratie
et l’intégration européenne.

«
Les élites ne se laissent pas moins conduire par les passions et leurs intérêts particuliers que les gens simples. (...) Si nous continuons à permettre à des privilégiés et à des organisations puissantes d’exercer une influence énorme sur les décisions politiques (...) et à augmenter la distance entre citoyens et citoyennes d’une part, lieux de ces décisions d’autre part, cela tendra plutôt à renforcer le populisme qu’à le réduire. L’oligarchie ou la technocratie et le populisme ne sont pas des contradictions politiques, mais des jumeaux. Les premiers veulent limiter la démocratie pour renforcer l’État de droit, le second veut limiter l’État de droit pour renforcer la démocratie. (...) Au lieu de mettre la démocratie en cause, nous devrions la revitaliser. Nous devons trouver les moyens pour que les élites et les autorités politiques tiennent mieux compte des besoins des gens et les fassent leurs. Nous devons renforcer les possibilités de participation et l’influence des citoyens; les élites et gouvernements doivent s’en rapprocher. C’est la seule façon de diminuer le populisme. Nous pouvons aussi faire cesser de cette manière
le 'malaise de la démocratie' actuel.
»

Extrait d’un article de Sheri Berman, Contre les technocrates, paru dans l’édition de l’hiver 2018 de la revue critique américaine Dissent.


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