26. Jan. 2019

Quotidien Jurassien

Mosaïque de la Démocratie

Fragment no 106

Les traces de démocratie
dans l’histoire de la Chine



Vous souvenez-vous encore des remarques racistes proférées chez nous comme ailleurs à propos des Arabes, par nature soi-disant inconciliables avec la démocratie? Il y a juste huit ans, ces malveillances ont reçu la meilleure réponse avec le Printemps arabe. Les révolutions démocra­ti­ques dans les pays arabes ont montré, à l’instar du Printemps des peuples en 1848, que les Arabes veulent se libérer des despotes et aspirent à la démocratie. Ils ont même réussi en Tunisie, où, malgré des circonstances très défavorables, ils vivent depuis lors en démocratie, de­venue le principe régulateur de l’État.

Tout aussi arrogante et opportuniste est la thèse, aujourd’hui très répan­due, selon laquelle le plus grand peuple de la Terre, les 1400 millions de Chinois, seraient incapables de vivre en démocratie. On dit aussi que leur principale doctrine philosophique, le confucianisme, serait en contra­diction totale avec tous les principes démocratiques. L’historienne néo-zélandaise Pauline Keating montre toutefois qu’en creusant assez pro­fondément dans le passé, on trouve même en Chine des cultures riche­ment démocratiques qui se sont développées hors de toute influence européenne. Il est vrai qu’elles ont été marginalisées et parfois brutale­ment réprimées par les dynasties impériales qui ont dirigé la Chine pen­dant des siècles. Mais elles appartiennent, bien plus qu’on ne le sait en Europe, à la tradition culturelle de la Chine, à laquelle se réfèrent en nombre croissant les habitants du pays qui s’engagent pour leur com­mune ou l’écologie. Pauline Keating souligne d’ailleurs que les autocrates chinois se sont bien davantage servi du confucianisme pour asseoir leur despotisme qu’ils n’ont réellement respecté cette doctrine. Selon Confu­cius (551-479 av.JC.), le pouvoir était réservé aux gens vertueux, et tout gouvernement devait d’abord servir le peuple.

Le philosophe chinois Mencius (372-289 av. J.-C.) a interprété le «Man­dat du Ciel» (Tianming), alors vieux de huit siècles, comme le fondement de la légitimité du pouvoir. «Les hommes sont ce qu’il y a de plus impor­tant dans le pays», a-t-il écrit. «Ils doivent se gouverner eux-mêmes. Ils ont le droit de se rebeller si le Ciel retire son mandat au détenteur du pouvoir.» D’après Pauline Keating, l’ancestrale sagesse chinoise avait un contenu démocratique. Mencius prônait même une sorte de démocratie économique. Une partie de la terre appartenait selon lui à tous, chacun participant à sa culturation en produisant des fruits de la terre. Ce prin­cipe correspond à celui des biens communaux (Allmend) qui ont prévalu beaucoup plus tard dans nos contrées. Le fameux médecin et militant socialiste zurichois Fritz Brupbacher (1874-1945) les a qualifiés de «fragment de démocratie avant l’heure» dans l’histoire Suisse.

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Pauline Keating (69 ans) a passé sa jeunesse à Melbourne (Australie), où elle a étudié l’histoire et la sociologie à l’université, avant de faire un doctorat sur l’histoire du Parti communiste chinois. Établie depuis 30 ans en Nouvelle-Zélande, elle y enseigne à l’université Victoria de Wellington, la capital, l’histoire générale de la Chine, en mettant l’accent sur
les traces de démocratie dans ce pays.

«
Quand on creuse un peu, on trouve des traces de démocratie dans la Chine ancienne et impériale. Tant dans le confucianisme orthodoxe que dans les contre-cultures qui ont parfois défié l’Empire. Ces traditions peuvent-elles être rénovées et réactivées au 21e siècle? Sans doute guère en suivant les modèles occidentaux classiques. Plutôt par le biais d’efforts de démocratisation prenant racine dans les traditions locales. Comme le font aujourd’hui le mouvement écologique et celui des communes autogérées. L’un et l’autre s’efforcent, en s’inspirant d’idéaux et tensions traditionnels, de réaménager les rapports entre société
et État. Ils peuvent ainsi transférer au moins une petite parcelle
de pouvoir des maîtres de l’État au peuple.
»

Extraits des conclusions de l’article anglais de Pauline Keating
Fouiller vers la démocratie en Chine, paru dans l’ouvrage anglaise L’histoire secrète de la démocratie ed. de Benjamin Isakhan et
Stephen Stockwell, Londres/New York 2011.


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