2.12.2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 98
|
La démocratie directe progresse
Lorsque le conseiller fédéral Ignazio Cassis a fait l’an dernier sa première visite en Autriche comme ministre des affaires étrangères, il ne pouvait sans doute pas s’imaginer cela. Il a cru devoir mettre en garde les Autrichiens contre l’adoption d’éléments de la démocratie directe. Contre toute vérité historique, Cassis a cru pouvoir affirmer que la démocratie directe existait en Suisse depuis 700 ans et qu’elle était pour ainsi dire un «élément de l’ADN suisse», d’où l’impossibilité de l’exporter dans d’autres pays et cultures.
Un bref regard sur l’histoire des États-Unis et des pays baltes aurait évité de telles bévues à Cassis. Car les États américains d’Oregon et Californie, par exemple, ont inclus dans leur démocratie l’initiative et le référendum avant la Première Guerre mondiale. La Lituanie et l’Uruguay ont fait de même après la guerre, en se référant eux aussi aux expériences positives faites en Suisse. C’est aujourd’hui également le cas de Taïwan, de Vienne et de la province autonome du Tyrol du Sud, en Italie du Nord - avec le soutien des Suisses, ignoré de Cassis.
Taïwan, république insulaire peuplée de 19 millions de citoyens, située dans la Mer de Chine orientale, à 180 km de la côte chinoise, et dont l’économie nationale occupe le 22e rang mondial (à deux places de la Suisse), a vécu une sorte de démocratisation par le haut. La dictature militaire y a pris fin en 1987, les premières élections libres ont eu lieu en 1996, et une première loi a institué la démocratie directe en 2003, mais avec des règles non praticables. Cette loi n’a été démocratisée que l’année dernière par le Parti démocrate progressiste (DPP) au pouvoir depuis 2016, si bien qu’il est désormais possible de lancer des initiatives populaires (avec 1,5 % des citoyens) et des référendums (0,5 %). Ainsi, la première votation populaire a eu lieu à Taïwan il y a une semaine, avec non moins de neuf initiatives et un référendum au programme. La participation a atteint 55 %, un peu plus qu’en Suisse le même week-end. Les résultats n’ont pas manqué de rationalité: proposé par l’opposition, l’abandon des sources d’énergie thermiques a été accepté, et le principe du mariage homosexuel rejeté.
En revanche, la démocratie directe est clairement une œuvre venue d’en bas dans le Haut-Adige, ou Tyrol du Sud (Italie du Nord), province autonome de 521 000 habitants, limitrophe des Grisons. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, cette province est contrôlée par le Parti populaire sud-tyrolien. Ce parti partage avec l’UDC suisse son nom en allemand (SVP) et son caractère national-conservateur. Ses dirigeants n’ont jamais voulu d’une démocratie directe accessible. Il a fallu 24 ans d’engagement acharné de la société civile, cinq appels au peuple et deux défaites de justesse dans les urnes – quasiment des victoires politiques - pour parvenir à une loi de compromis. Celle-ci, grâce à une majorité parlementaire obtenue en juillet 2018, rend les droits populaires plus accessibles dès la dernière semaine de novembre. Pionnier de la démocratie directe dans le Haut-Adige, Stephan Lausch, qui prend la pratique suisse pour modèle depuis 25 ans, a assuré la coordination de milliers de collecteurs de signatures actifs dans 35 organisations différents, tire un bilan très positif: «La clé, c’est que les règles sont désormais praticables, affirme-t-il. Ce n’était pas le cas avant, avec le quorum de 40 % de participation comme condition de validité d’une votation. Nous allons maintenant utiliser les nouveaux droits pour obtenir d’autres améliorations afin que la nouvelle loi nous assure aussi une démocratie directe de qualité.»
------------------------
Stephan Lausch est né en 1956 à Bolzano, chef-lieu de la province italienne du Tyrol du Sud. Après des études de philosophie à Salzbourg et Heidelberg, il a regagné son pays dans les années 1980. Cofondateur de l’Oeko-Institut, il est depuis 1994 aussi le promoteur principal de l’Initiative pour plus de démocratie.
«
Jusqu’à présent, le peuple s’est fait dominer malgré la démocratie, comme dans la plupart des pays démocratiques. Dès maintenant, le peuple peut participer au gouvernement, comme cela se fait dans une vraie démocratie. Car la nouvelle loi sur la démocratie directe est entrée en vigueur dans le Tyrol du Sud la dernière semaine de novembre 2018. Nouveauté, le droit de référendum permettra aux citoyens et citoyennes de contrôler directement le travail législatif du parlement. Grâce à l’instrument de l’initiative populaire, ils pourront aussi décider par leur vote de créer de nouvelles lois, de les modifier ou supprimer (...) Les parlementaires qui travaillent dans l’intérêt des citoyens ne craignent pas ce contrôle des dépenses publiques. Ils se prononcent pour une administration proche du citoyen et des dépenses modérées, et contre un système clientéliste dont les dirigeants se mettent au service des puissances économiques et utilisent les fonds publics en faveur des intérêts privés.
»
Extraits de deux communiqués de presse de l’Initiative pour plus de démocratie de novembre et janvier 2018, pour l’introduction de la démocratie directe dans le Tyrol du Sud, rédigés par Stephan Lausch.
Kontakt mit Andreas Gross
Nach oben
|