13.10.2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 92
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«Manifestons contre le nationalisme!»
Friedrich Dürrenmatt avait 47 ans quand il a organisé, il y a 50 ans, une grande manifestation au Théâtre de Bâle avec d’autres écrivains comme Max Frisch, Günther Grass, Kurt Marti et Peter Bichsel. Ils protestaient contre l’invasion des chars soviétiques en Tchécoslovaquie pour écraser le Printemps de Prague, le socialisme à visage humain. «Si je prends la parole comme écrivain, ce n’est pas pour protester mais pour analyser», a dit Dürrenmatt dans son discours de Bâle. «Protester est une affaire d’émotion, évidemment nécessaire, alors qu’analyser est un acte de réflexion. (...) Il n’est pas possible de transformer raisonnablement le monde par la pensée pure. Ils ne veulent changer que celui qui reconnaît leur ordre insensé, et ceux qui espèrent par cette transformation une amélioration de leur situation insensée, les exploités et les misérables.»
Aujourd’hui, un écrivain suisse proteste et analyse de nouveau avec des collègues européens un «crime politique» (F. Dürrenmatt), le nationalisme qui se répand actuellement dans toute l’Europe. L’écrivain Jonas Lüscher, double national germano-suisse, vit à Munich et aura bientôt 42 ans. Il discute régulièrement avec son ancien camarade d’études, le philosophe autrichien Michael Zichy, de la situation politique en Europe. Tous deux en ont eu assez de réfléchir et analyser en permanence. Ils ont voulu davantage. Ils ont voulu faire un signal par l’action. C’est pourquoi Lüscher et Zichy ont décidé il y a trois mois de réunir aujourd’hui 13 octobre dans au moins 50 villes d’Europe 5 millions de personnes dans la rue contre le nationalisme qui se propage et pour une Europe commune et solidaire. Leur appel a été traduit dans 28 langues et signé par 800 intellectuels, dont l’ancien ministre français de la culture Jack Lang et l’écrivain suisse Peter Stamm.
Même si la manifestation ne rassemble pas autant de monde cet après-midi à 14 h dans toute l’Europe, Jonas Lüscher ne sera pas attristé. «Même si nous n’atteignons pas ce nombre, ce n’est pas grave. Que la manifestation touche 50 villes, c’est de toute façon un succès. Nous pouvons créer un signal fort. Nous sommes persuadés que la majorité des citoyens croit en une Europe solidaire. Nous voulons le montrer», a dit Lüscher le week-end dernier à la NZZ am Sonntag. Des manifestations antinationalistes ont aussi été préparées à Bâle (Claraplatz, 14 h) et à Zurich. Lüscher: «Nous sommes ensemble parce que nous voyons notre avenir en Europe et non dans le retour aux nationalismes d’antan. Et parce que nous sommes prêts à négocier, dans un processus démocratique, l’organisation de cette Europe (...) La plupart des problèmes de la globalisation appellent des réponses supranationales.»
Jonas Lüscher affirme dans la tradition de Friedrich Dürrenmatt: «Quand la situation politique se dramatise, il y a aussi plus d’engagement. Quand j’écris un essai politique, c’est une forme d’action. Mais il y a des périodes qui exigent un supplément d’action concrète. Cela ne signifie pas que je n’ai plus confiance dans la rédaction de romans politiques ou de chroniques philosophiques.»
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Né en 1976, Jonas Lüscher a passé sa jeunesse à Berne. Instituteur, il a étudié la philosophie et vit aujourd’hui comme écrivain à Munich. Son premier roman, Le printemps des barbares, qui porte sur la crise financière d’il y a dix ans, a reçu en 2013 le prix littéraire franco-allemand Franz Hessel et le prix artistique de Bavière. Il a aussi reçu le prix suisse du livre 2017 pour son roman Kraft.
«
L’Europe que nous voulons est libre et pacifique. Pourtant, aujourd’hui le nationalisme est de nouveau encensé. L’intolérance gagne en puissance. La haine s’étend, la violence devient quotidienne. La peur de l’autre et de l’étranger est attisée, convertie en capital politique. On a soif d’hommes forts. Les sociétés sont ravagées par la corruption. L’État de droit s’érode. Conquêtes sociales et droits durement acquis sont menacés. La liberté et la paix n’ont plus rien d’évident. Il est temps de passer à l’action. Nous allons mobiliser (...) les Européens/nes contre le nationalisme et pour une Europe unie, démocratique et solidaire.
»
Extrait de l’Appel que Jonas Lüscher a lancé avec le philosophe autrichien Michael Zichy pour mobiliser 5 millions d’Européens le 13 octobre 2018 dans 50 villes (www.13-10.org).
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