25.08.2018
Quotidien Jurassien
Mosaïque de la Démocratie
Fragment no 87
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La régression démocratique hongroise
Dans les années 1990, la Hongrie a été un précurseur de la démocratisation en Europe de l’Est. Mais cette même Hongrie s’est transformée depuis le début du XXIe siècle en précurseur du recul démocratique. C’est le premier membre de l’Union européenne (UE) dans lequel la démocratie s’est dégradée et où un régime autocratique autoritaire s’est établi par voie démocratique. Celui-ci a renversé des piliers élémentaires de la démocratie et renoncé à certaines de ses bases essentielles. La plupart des observateurs partagent ce diagnostic et voient la majorité gouvernementale de Pologne sur le même chemin. Plus controversées sont les raisons alléguées par des scientifiques hongrois et polonais dans une publication unique à ce jour, publiée à Berlin, sur ces mouvements de régression démocratique encore inédits en Europe.
Le conservateur-nationaliste Victor Orban a gagné trois fois depuis 2010 les élections parlementaires hongroises avec son parti Fidesz. Chaque fois, il a obtenu une majorité des deux tiers au Parlement de Budapest, ce qui lui permet de modifier la Constitution comme bon lui semble. Conséquences: transformation complète du système politique, concentration du pouvoir aux mains de l’exécutif, suppression de la séparation des pouvoirs, du pluralisme et mise au pas de tous les contre-pouvoirs (médias, cour constitutionnelle, institutions culturelles, autres tribunaux), contrôle total de la société et des principaux secteurs de l’économie. Résultat: transformation de la démocratie hongroise en un pouvoir autoritaire et autocratique.
Selon la politologue hongroise Ellen Boss, de l’Université Andrassy à Budapest, Orban se justifie par trois affirmations qui peuvent paraître étrangement familières aux Suisses. «Seul mon parti représente la véritable volonté du peuple et les intérêts de la nation; une victoire électorale donne un pouvoir global au gouvernement; la Hongrie est menacée dans son existence par des ennemis extérieurs et intérieurs, de sorte que mon parti est seul à pouvoir sauvegarder et défendre l’identité et la souveraineté du pays.»
Les politologues Andras Bozoki et Daniel Hegedüs, qui travaillent à l’Université d’Europe centrale de Budapest - qu’Orban déteste à cause de son financement par le philanthrope américano-hongrois George Soros - écrivent: «Malgré le déclin exemplaire de la démocratie hongroise, son système politique n’est aujourd’hui ni une démocratie ni une dictature, mais un système hybride spécifique. Certes, la séparation des pouvoirs est largement hors d’usage, mais les citoyens conservent une bonne partie de leurs droits fondamentaux. Cela tient au fait que la Hongrie est membre du Conseil de l’Europe et à son intégration à l’UE. Le rôle de celle-ci est toutefois ambivalent: son ordre juridique contrarie l’installation d’un système autoritaire; en même temps, les fonds octroyés par l’UE stabilisent le régime Orban».
La majorité gouvernementale national-conservatrice de Pologne, dirigée par le parti PiS de Jaroslaw Kaczynski, suit le même chemin que la Hongrie sans être encore allée aussi loin. La mise au pas de la Cour constitutionnelle polonaise est déjà achevée, mais les efforts de transformation du système avancent plus lentement parce que les majorités constituantes manquent (encore). Pour Kaczynski néanmoins, ce qu’il a déjà affirmé en 2011 reste clair: «Je suis profondément convaincu qu’un jour viendra où nous réussirons à avoir aussi notre Budapest à Varsovie.»
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Né en 1962 à Kassel, Manfred Sapper a étudié les sciences politiques, l’histoire et la sociologie à Francfort, Sienne et Moscou. Il a été chargé d’enseigner les sciences politiques à l’Université de Mannheim. Aujourd’hui, il est rédacteur en chef de la revue Osteuropa, qui paraît à Berlin.
«
La Hongrie et la Pologne sont-elles aujourd’hui des démocraties illibérales? Non. La Hongrie est (...) une autocratie libérale – une autocratie dans laquelle les droits civiques restent valables. Le Gouvernement polonais a engagé l’avenir dans le même sens. La notion de 'démocratie illibérale' induit en erreur. Elle réduit la démocratie au pouvoir de la majorité et suggère que ‘libéral’ se rapporte à un système où l’individu a des droits illimités au détriment de la collectivité. (...) Pourtant la limitation juridique du pouvoir est le noyau de toute démocratie. Ce n’est pas sans raison que la peur de la tyrannie de la majorité est à la base de l’époque démocratique. (...) Ni la Hongrie ni la Pologne ne pourraient plus adhérer à l’UE avec leur constitution actuelle. Mais tandis que l’UE refuse d’accueillir des prétendants (pour cause de démocratie déficiente), la Pologne et la Hongrie ne peuvent pas être exclues de l’UE. (...) La démocratie libérale se dégrade dans beaucoup de pays d’Europe. La Hongrie et la Pologne sont l’expression de cette tendance, la renforcent et la transmettent à d’autres États.
»
Tiré de l’éditorial de Manfred Sapper et Volker Weichsel au numéro spécial de la revue Osteuropa parue en juin à Berlin sous le titre Sous le couteau, l’État illibéral en Hongrie et en Pologne, 68e année, no 3-5/2018: 521 pages.
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